Si j'ai toujours beaucoup d'appréhension avant de lancer des films qui sont très longs (c'est la raison pour laquelle je m'étais quasiment pas encore attaqué au cinéma de Wang Bing) la longueur ici est nécessaire. Elle enferme le spectateur pendant quasiment quatre heures dans un asile chinois, à une escapade d'une dizaine de minutes près.
Et franchement, c'est une certaine idée de l'enfer.
On est coincé dans l'étage des garçons qui est simplement une coursive, où on voit les types emprisonnés déambuler pendant des heures. Vu que le film est long, on a le temps de suivre pendant parfois plusieurs dizaines de minutes une personne, la voir supplier qu'on lui enlève ses menottes, la voir pisser contre le mur de sa chambre, se balader à poil, le tout dans des conditions absolument insalubres.
Ce qui est terrible c'est qu'on sent bien qu'il y en a où ça cogite pas mal, qui ne sont pas vraiment fous voire même qui ont l'air conscient de ce qui se passe ici. L'horreur. D'ailleurs c'est confirmé par le texte à la fin du film expliquant que cet asile regroupe des psychopathes, des types qui se sont battus, des dépressifs, des types qui étaient trop dévots... qu'ils sont tous mélangés... Et durant le film on a vu qu'ils sont livrés à eux-mêmes, qu'il n'y a quasiment aucun encadrement, aucune activité... rien.
Finalement c'est ça que filme Wang Bing, c'est l'horreur de cet éternel ennui de ces gens qui n'ont rien à faire, aucune activité n'est proposée... Les gens ont juste une vieille télé cathodique (le film date de 2013) et c'est tout. Pas de salle où faire du sport, pas de parc où se promener, pas de jeux, pas de livres, rien. Ils fument pour faire passer le temps et attendent la visite de leur proches pour leur demander à pouvoir sortir (ce qui est quasiment systématiquement refusé).
Les types sont coincés là pendant parfois des décennies, si on n'était pas fou en entrant, c'est sur qu'on le devient en restant là.
Et nous spectateurs, nous sommes là, captifs devant le film à regarder ce traitement inhumain et à chercher un peu de baume au cœur dans les rares interactions sociales qui ne soient pas des cris.
Je suppose que voir ce film en salles est pire encore puisqu'on n'a aucune échappatoire.
A la folie n'est pas misérabiliste, il ne cherche pas à faire chialer, ça ressemble plus à une baffe de réalité en pleine gueule, où si on excepte le texte à la fin du film précisant le contexte, on ne nous dit jamais quoi penser : les images parlent d'elles-mêmes.
En somme c'est sans doute l'un des films les plus difficiles qu'il m'ait été donné de voir. Accepter que ce l'on voit arrive en vrai, que ces gens restent là des dizaines d'années, qu'ils ne peuvent pas sortir, qu'ils vivent dans leur pisse, dans quelques mètres carrés, entassés comme des bestiaux...
La force du film est de réussir à nous faire sentir, ou du moins approcher, ce que sont les conditions de vie dans cet asile.