Ce qui m'amuse avec Terrence Malick, c'est que plus il se rapproche de ses personnages, plus il s'éloigne de son public. Le cinéaste devient ainsi la parfaite incarnation de la relation bipolaire et presque perverse qui lie un artiste à son public, passant d'un statut de wonder boy, excessivement porté aux nus, à celui de quasi paria, traîné dans la boue au moindre vent contraire, au moindre petit caprice de son audience. Déjà ternie par un "Tree of life" injustement taxée de bondieuserie new age, l'aura mystique et intouchable de Malick s'est vue fondre comme neige au soleil avec son nouvel opus, peut-être son oeuvre la moins accessible il est vrai.

Ayant poussé son cinéma vers des cimes à la limite de la rupture, Terrence Malick revient à une certaine simplicité, proche de celle émanant de sa "Balade sauvage" initiale, délaissant la grandiloquence de ses précédents films pour s'attarder sur une histoire de couple tout ce qu'il y a de plus banale, tout en conservant le lyrisme fracassant et quasi baroque qui lui est propre depuis "La ligne rouge".

Touché une fois de plus par la grâce, le metteur en scène des "Moissons du ciel" compose des plans de toute beauté, frôlant sans cesse ses personnages sans jamais les atteindre pleinement, plongeant le spectateur dans une ambiance dont lui seul à le secret, illuminant nos rétines de tableaux tout bonnement prodigieux, dont émane à chaque fois une poésie qui en deviendrait presque douloureuse.

Un nouveau tour de force formel au service d'un récit morcelé, que l'on pourrait juger anecdotique tant il se résume à peu de choses, nous plaçant comme témoins d'un couple sur la brèche, nous faisant partager un bonheur fugace pour mieux assister à sa lente déliquescence. Avare en dialogues, "A la merveille" vogue langoureusement au son d'une voix-off à peine perceptible, nous laissant aussi démunis qu'un nouveau-né, forcés que nous sommes à courir après la silhouette constamment en fuite de ses héroïnes.

Incarnées avec force par Olga Kurylenko et (brièvement) par Rachel McAdams, elles sont aussi touchantes que mélancoliques, aussi solaires que tragiques, complexes et insaisissables, face à des personnages masculins à peine visibles, froids et fantomatiques, coquilles vides perpétuellement à la recherche de quelque chose qu'elles ne trouveront peut-être jamais.

Alors oui, Terrence Malick tourne sûrement en rond, filme les mêmes images, appose à son film la même atmosphère et perd à peu près tout le monde au passage. Mais il est fort probable que le bonhomme s'en contrefiche et il aura bien raison, faisant avant tout du cinéma pour lui-même et pour personne d'autre. Une démarche que l'on pourra juger narcissique et masturbatoire mais qu'importe, je suis toujours prêt à le suivre.

Créée

le 9 oct. 2013

Modifiée

le 9 oct. 2013

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Gand-Alf

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