En liberté dans les champs du seigneur
C'est dans les années qui séparent les oeuvres de sa filmographie (six, sept...voire plus !) que l'on reconnaît sans doute la patience et la maniaquerie d'un esthète comme Terrence Malick. D'où une certaine exaltation à guetter toujours le prochain film, à attendre de replonger enfin dans une salle obscure pour retrouver l'un des grands poètes du cinéma américain. Quelle surprise de voir ce To the wonder débarquer sans crier gare à peine deux ans après Tree of Life (sans compter que The Knights of Cups devrait suivre !), film monstre si l'on peut dire, où Malick explorait le cocon familial et les cicatrices de l'enfance en remontant jusqu'à la création du monde. Une ambition telle que To the wonder lui, en semble plutôt dépourvu. Reproche ? Pas forcément. Qu'importe la modestie du sujet, qui permet à Malick de respirer un peu et de se libérer de l'histoire (guerre, grande dépression, colonisation, genèse), se permettant par là même de revenir à la base, à l'essentiel, à l'origine : l'amour.
Ce même amour qui était le moteur de tous ses films, quelque soit leur trame ou leur cadre. Ou même s'il n'en était pas exactement le sujet , il était bien là, rayonnant, surgissant, envahissant. Ici, il lie Neil et Marina, le temps d'une première demi-heure digne d'un roman-photo divin et exalté. Batifolages parisiens, déclaration lumineuse, espoirs conquis : Malick ne se contente pas de sublimer la capitale ou le Mont Saint-Michel (qu'on a sans aucun doute jamais filmé de la sorte), il réussit à communiquer cette impression de l'émoi amoureux, de ce soupir interminable. Ces tourtereaux, amoureux, fébriles, ont l'éternité devant eux. Et nous avons un film...
Problème, Malick s'enferme dans une boucle : on comprend vite où celui-ci veut en venir, décrivant un feu majestueux bientôt réduit à une flamme ne cessant de s'éteindre scène après scène. Marina aime Neil, qui ne l'aime plus. Puis arrive Jane, qui aime Neil, qui ne l'aime plus. Puis Marina revient, puis repart...
La substance n'est évidemment pas dans ce scénario de soap : elle se situe dans le royaume de sensations déployé par Malick, qui fait déferler les éléments et fait tourbillonner son actrice comme une toupie tant qu'il peut. Cette osmose avec la nature, ce sentiment de rêve éveillé, de décrire les choses les plus banales avec la grâce la plus surprenante et une caméra extra-terrestre, Tree of Life le faisait déjà. Pas de longs dialogues, mais des mots lointains, une voix-off fragile, des silences, des envolées. On connaît ça.
On ne sait pas si le choix de Ben Affleck était totalement voulu pour Malick, aggravant son jeu inégal en le dépouillant de toute substance, homme à la fois présent et fantomatique dont on ne saura pas grand chose. Le tout en opposition face à des personnages féminins aériens, amoureux, écorchés, délaissés, qui rêvent de l'amour et en souffrent. Malick s'entiche de l'esthétique de l'intime (les caresses, les engueulades, les errances, les joies) et les émotions qui en découlent, en évite les justifications : d'où une matière vacillante, déconcertante, souvent faite de non-dits. Malick déroule et étire comme il peut : on peut parier que son film devait être deux fois plus long.
Malgré la beauté de l'entreprise, il y a quelque chose de vain. Malick nous décrit l'amour comme extatique, fabuleux, mais aussi changeant, insaisissable, inconstant, et s'aide du personnage d'un prêtre paumé pour mieux parler de cette soif qui abreuve et assèche l'homme. Malick ne donne pas de solution, pas de happy-end non plus à vrai dire : le constat est même noir, désespéré. Déjà anti-commercial de par sa démarche expérimental, À la merveille n'a rien d'un vendeur d'amour naïf, décrivant même un monde piégé, toxique, presque sur le déclin. Encore faut-il que Malick se donne le courage de conclure dignement son poème...ce qu'il loupe. D'où frustration face à cette oeuvre languissante, étrange, répétitive, et belle, malgré tout.