Paperhouse
6.5
Paperhouse

Film de Bernard Rose (1988)

Relégué dans l'hexagone à une sortie vidéo, Paperhouse tient la chance de sa redécouverte grâce ses multiples diffusions sur le câble, bien avant sa glorieuse (et récente) sortie sur support numérique. Objet étrange, perturbant même il faut bien le dire, découlant de plusieurs voies sans vraiment s'y jeter : le premier film de Bernard Rose (clippeur à l'époque, à qui l'on doit la plus célèbre des vidéos de Relax de Frankie goes to Hollywood, croisement scandaleux de Cruising et de Satyricon) traîne à la fois dans le sillage des quelques perles que nous a offert le cinéma d'horreur anglais dans les 80's, de la mode éphémère (mais tenace) du film fantastique onirique (avec des titres comme La compagnie des loups, Dreamscape, Dream Demon, Dream Lover, Les griffes de la nuit, Rêves sanglants...) et de l'apparition brutale et fascinante d'OVNI abordant avec la plus grande bizarrerie le thème de l'enfance (le normanrockwellien Parents, le brûlant Sonny Boy, le très trash Léolo, le vertigineux Reflecting Skin, le vénéneux Laurin...).

Bref, à croire que Rose avait plus ou moins bien cerné les mouvements de son époque ; excepté qu'au final, on ne sait pas à quel public s'adresse Paperhouse, tant il semble tous les réunir pour mieux les faire fuir. Tant mieux ?

Un cahier, quelques crayons, de l'ennui et un peu d'imagination : le point de départ de Paperhouse et son langage de petit rêveur éveillé rappelle parfois une Histoire sans fin antérieure, mais sans l'esbroufe, sans le goût du spectacle. Sous la grosse machinerie, Petersen parlait du merveilleux pour y glisser des notes de cauchemar, évoquait le fardeau du deuil et les dangers du monde...pour mieux revenir vers l'optimisme. Chez Rose, le tableau est plus sombre encore, et encore plus terre à terre..

Lors d'une journée barbante (tout comme Bastien finissait par faire l'école buissonnière après un retard dans le film sus-cité), la petite Anna organise sa révolte et rejoint le monde des songes, où elle se découvre la capacité de toucher du bout des doigts l'univers qu'elle a crée sur son morceau de papier : une maisonnette comme tant d'autre. Chaque modifications du dessin entraîne alors un changement dans cet univers parallèle : Anna continuera t-elle à tenir prise longtemps sur sa "paperhouse" ?

Derrière l'argument fantastique, Paperhouse met en scène un tableau de l'enfance alors peu reluisant, décrivant son héroïne (étonnante Charlotte Burke qui disparaîtra des écrans) comme une demi-peste qui ne fait guère briller ses onze ans. L'évocation du père absent, dont les répercutions seront terribles, louche vers un sous texte psychanalyste : Rose déclarait qu'il souhaitait s'en éloigner le plus possible, sans doute à l'inverse de La compagnie des loups, plus sexué et freudien.

Ni ronge-tête, ni réellement tenté par les dérives de toutes sortes (le concept aurait pu en effet, aller bien plus sur certains aspects), Paperhouse n'est intéressé que par la substance ténébreuse de son récit, et par l'inquiétante étrangeté qui découle du décor principal, où il semble que tout peut arriver. D'ailleurs moins on en sait, mieux on s'en porte...

Et comme Rose reste subjugué par l'inquiétude des songes, Paperhouse glisse progressivement vers l'épouvante, dans une exploration du cauchemar enfantin à faire frémir. Jamais emporté par un quelconque schéma, Paperhouse délaisse l'espoir pour les réalités qui font mal, scrutant la désillusion enfantine avec un lyrisme qui appelle déjà celui de Candyman et de Immortal Beloved, les deux autres bijoux de Rose.

Quelques frissons d'effroi contre quelques frissons d'émotion, cette maison de papier est à visiter avec prudence...
Jironimaux
10
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le 11 mai 2013

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