Brad Bird n’a pas toujours eu de chance. On se souviendra de l’échec honteux du Géant de Fer par exemple, auquel s’ajoutera malheureusement Tomorrowland aujourd’hui, film fantastique que Disney n’a même pas essayé de vendre au public.
Une attitude complètement ubuesque, disons le clairement, qui consiste à dépenser plus de 200 millions de dollars pour finalement décider – par incapacité de vendre ou peur du bide – de sacrifier un film, et par conséquent de l’argent. Tomorrowland est pourtant à classer parmi les meilleures productions sorties ces dernières années, sorte de revendication au niveau de lecture double, entre film meta et film ludique pour le public. Tomorrowland nous présente une société mortifère et passéiste, qui se gave « comme d’un éclair au chocolat » de son inanité, préférant abandonner avant même d’avoir essayé de changer le cours des choses. Les rêveurs et optimistes (Clooney et Robertson) sont alors catégorisés comme des hippies, des personnes hors du temps, enfermés dans l’illusion idiote que les choses pourront changer. Une vision des choses que Brad Bird ne peut s’empêcher, constamment, de remettre en cause pour mieux imposer ses idées et faire comprendre au spectateur que sa vision est étriquée et surtout, morte. Ce n’est pas en étant nostalgique que les choses changeront, mais en se projetant vers l’avant, en ayant l’intime conviction que chacun peut développer son potentiel plutôt que de se laisser abattre par une société qui mets tout le monde au même niveau. Théorie assimilée à l’envers pas certains, disant le film « fasciste » quand il est tout le contraire, engoncé dans une approche objectiviste et individualiste de l’homme qui ne pourra mettre ses capacités à contribution qu’en dehors d’une société collective et participative. Une idée toute sauf européenne, mais très ancrée aux Etats-Unis et qui à le mérite d’être aussi valable qu’une autre, qu’on la supporte ou non.
Il est injuste de sacrifier Tomorrowland sur l’autel de la morale quand celui-ci est subversif et appelle à détruire la tendance actuelle, policée voire rétrograde, regardant et jugeant sans cesse son histoire. Brad Bird appelle à regarder vers le futur, à ne plus se complaire dans la nostalgie, dans l’idée que ce qui a été fait est indépassable. D’autant que l’homme est lui-même le produit d’une époque qui misait énormément sur son futur, et qui aujourd’hui n’est plus capable de créer sans refaire ce qui a déjà été fait (vous saisirez aisément le sous-texte meta du film). Jouant aussi avec l’image qu’on nous vend du « futur », Bird nous invite à nous écarter de sa vision pour créer la nôtre et rend par conséquent hommage à Walt Disney himself, visionnaire qui se considérait lui-même comme un génie. Tomorrowland est un grand film parce qu’il est capable de mélanger tous ses éléments (le film live et celui d’animation) pour créer un univers ludique et cohérent, parfaitement rodé et pourtant très riche d’interprétations. Le genre de film qu’on regarde en grandissant et dont on découvre toujours plus d’éléments au fil des années, signe qu’on est en face d’un grand réalisateur.
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