Destiné par sa date de réalisation (1931) à sombrer un peu dans l’oubli A nous la liberté est une satire de la société qui, contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est pas obsolète.
Lumineux, simple, lucide, René Clair (ce n’était pas un surnom) fait un parallèle évident entre la prison et l’usine. Le sort des ouvriers travaillant à la chaîne reflète celui des prisonniers. Exagération démago? Mon ressenti était exactement le même lors de mon premier boulot. Alignés les uns à côté des autres sans pouvoir discuter, nous étions sans cesse étroitement surveillés par les contremaîtres que nous appelions d’ailleurs entre nous les matons et notre unique rêve était de nous évader. Si les usines disparaissent peu à peu, les centres d’appel et les emplois précaires créés par l’intelligence artificielle ont pris la relève. [Voir Antonio Casilli et son livre « En attendant les robots »]. Les micro-tâcherons d'aujourd’hui subissent la logique tayloriste de fragmentation des tâches poussée à l’extrême. Les travailleurs du clic sont tout aussi exploités qu’avant, ils sont simplement plus isolés.
Certes dans les années 30 les conditions étaient tout sauf joyeuses dans les usines. Si on prête attention aux détails, l’on peut même pressentir dans le film les crises à venir. Les matons ou les contremaîtres portent des brassards comme les officiers SS. A un moment on nous dit ironiquement que le travail c’est la liberté, et c’est repris par un chœur d’enfants. « Arbeit macht frei », comme il sera écrit dix ans plus tard à l’entrée des camps de concentration.
Mais le film n’est en rien une lourde démonstration sociale. La musique guillerette de Geoges Auric et le montage enjoué permettent de garder légèreté et sourire tout au long du film. René Clair ne force pas le trait alors que les films de Duvivier ou Renoir de la même époque restent prisonniers de leur noirceur et nourrissent une forme de désespoir .
Contrairement au film de Chaplin les Temps modernes dont A nous la liberté est en partie le modèle, la science et la technique ne sont pas rejetées dans le film. L’évadé Louis, ex-matricule 119, devient directeur d’usine par le seul fait de ses actes, selon la définition de la liberté par Spinoza. Il invente d’ailleurs dans un passage assez bref l’ancêtre de la requête informatique.
Pour retrouver le visage d’une femme dont il ne connaît que le nom il envoie un pneumatique , les fichiers sont interrogés... et la photo est réceptionnée presque aussitôt par pneumatique !
Mais il serait totalement faux de penser que le film est un éloge de la société industrielle comme j’ai pu le lire. Si les ouvriers profitent du progrès pour jouer aux cartes, danser ou pêcher à la ligne pendant que les machines travaillent à leur place c’est dans le monde idéal souhaité par René Clair. Le taylorisme aliénant est « clairement » dénoncé dès le début.
Et après avoir été contraint de quitter ses fonctions à cause de l’amitié pour son ancien pote matricule 155 le doux rêveur, l’ex-directeur fait don de toutes les machines à ses collaborateurs. Il retrouvera une nouvelle forme de liberté en devenant vagabond à la fin du film. Histoire de démontrer au passage que l’argent ne fait pas la liberté.
Le film est indémodable également grâce à la quasi-absence de dialogues. Libertaire dans le propos, humoristique dans la forme, ce film a l’immense mérite de pousser le cri du cœur rêvé par tous ceux qui sont exploités dans le monde. A NOUS LA LIBERTE !
[Ce film fait partie de mon top des 1001 films à voir]