Les portraits de femmes contraintes dans leur épanouissement sous le joug d’une société phallocrate et influencée par l’Islam fleurissent ces dernières années. Après la saoudienne Wadjda et son vélo, les sœurs turques de Mustang et le match de foot, les prostituées marocaines de Much Loved, place à la jeune Farah, tunisienne désirant chanter sans censurer ses paroles contestataires, à la manière des Chats Persans.
Situé avant le printemps arabe, à l’été 2010, le récit prend le pari d’adopter le point de vue de sa protagoniste, ainsi que celui de son groupe : la jeunesse est fougueuse, semble assez libre de ses mouvements, et l’on se prend à croire avec elle à cet état de fait. Certes, les regards de l’ancienne génération se crispent dans les cafés pour hommes, et quelques avertissements parentaux auquel on n’accorde pas trop de crédit viennent ponctuer les soirées, la boisson et les joints sur la plage.
Surtout, la musique aide à l’expression d’une énergie irrépressible. Les morceaux combinent avec talent folklore oriental et rock, sur une dynamique de la langueur et de l’explosion, emportant avec eux un public qui laisse alors parler son corps.
Leyla Bouzid suit son héroïne, electron qui se croit libre, et qui dévoile uns à uns les verrous autour de son parcours. Avant que la police politique ne sorte de ses planques, c’est le rapport à la mère qui cristallise les tensions. A la fois complice et rivales, les femmes sont le centre de toutes les attentions, dans ces intérieurs où tout se dit, mais où l’on étouffe simultanément. De la grand-mère matriarche qui décide des études de Farah à sa mère qui tente de la protéger contre elle-même, en passant par la jeune femme de ménage qui partage ses aspirations à la liberté, le gynécée en ébullition raconte une autre vérité du pays, celle que les hommes, presque absents, font tout pour museler.
La caméra, furtive, investit l’espace avec fluidité et contribue à ces élans du personnage : accompagnant ses déplacements dans les divers lieux clos (garage de répétition, appartement) ou durant les performances musicales, elle restitue avec force l’énergie de la jeunesse.
La perte des illusions n’en sera que plus ravageuse : rappel à l’ordre venu de toutes parts (le petit ami, le groupe, l’indic, la mère), les cloisons se referment brutalement autour de Farah. L’intelligence de Leyla Bouzid est de ménager des voies de traverses et un espoir infime reposant sur l’ouverture fondée sur l’échange : en ménageant la possibilité d’un échange entre les générations, le retour du père et la maturité, certes blessée, de la jeune fille, elle infuse dans le brûlot libertaire une solidarité humaniste face à l’adversité, entrainant plus d’un spectateur à sa suite.
(6.5/10)