Yougoslavie, 1995. Alors que la guerre des Balkans est sur le point de se terminer, un petit groupe d’humanitaires œuvre encore pour aider la population. Venues toutes d’horizons différents, ces cinq personnes vont devoir collaborer ensemble afin d’extraire le cadavre d’un puits qui menace de contaminer l’eau de tout un village. Néanmoins, trouver une corde dans un pays dévasté qui peine à se reconstruire ne va pas être une mince affaire…


Depuis What a lovely war en 1969 et MASH en 1970 sans oublier l’inévitable Docteur Folamour en 1964, le film de guerre humoristique appartient à un genre particulier qui, s’il n’est pas traité par un réalisateur suffisamment aguerri, peut vite sombrer dans la caricature et le mauvais goût. Fernando León de Aranoa, qui signe ici son sixième long métrage juste après le très apprécié Amador, fait le choix d’un humour en demi-teinte dont la fonction première est de mettre en valeur l’absurdité de la guerre. Malgré l’empreinte encore fraiche que laisse le souvenir de la guerre des Balkans dans les mémoires, Aranoa adopte sur le conflit un point de vue original, en suivant un groupe d’humanitaires en prise avec une situation qui semble inextricable. D’une construction atypique, le métrage ne s’attache pas à un seul personnage principal mais à cinq, comme pour mieux représenter l’esprit communautaire qui anime ce type d’ONG. Écrits avec finesse, chacun de ses personnages symbolise une facette particulière du missionnaire humanitaire : la jeune idéaliste, à qui Mélanie Thierry prête son visage juvénile, le vieux baroudeur interprété par un Tim Robbins dont on regrette la rareté des productions cinématographiques actuelles, le célibataire aventurier joué à merveille par Benicio Del Torro, la scientifique désireuse de rentrer chez elle et le traducteur directement concerné par le conflit qui se joue. Le réalisateur a l’intelligence de ne laisser aucun acteur tirer la couverture à lui, donnant ainsi à son film une structure qui lorgne du côté du film choral Iñárritien.


Toute cette troupe est rassemblée autour du fil conducteur du film, matérialisé par la recherche d’une corde, seule à même de pouvoir extraire le cadavre du puits. La définition que donne Cioran de l’humour (« l’humour, c’est la politesse du désespoir ») trouve tout son sens dans un film où chaque situation (la découverte d’un pendu, la traversée d’une route minée) est représentée en faisant s’imbriquer humour et noirceur, parfois jusqu’au malaise. Loin d’être utilisée de manière gratuite, cette tonalité douce-amère révèle l’absurdité d’une situation qui semble être, elle aussi, prise entre deux feux : un no man’s land où guerre et paix se partagent un même territoire. Si la guerre semble être terminée, la plupart des personnages paraissent pourtant peu enclins à l’accepter, comme si la paix était devenue un objet trop lointain pour que l’on se souvienne encore de son fonctionnement. A Perfect Day constitue ainsi le versant comique de Jarhead (Sam Mendes, 2005) ou du Désert des Tartares (Dino Buzzati, 1940) qui s’intéressent moins à la guerre en elle-même que de l’ennui provoqué par son attente. Ici ce n’est pas la guerre qui est attendue, mais la paix : les ruines laissent place à un univers Beckettien où résonne la musique tonitruante des Ramones et de Marilyn Manson.


Si A perfect Day ne brille pas par l’originalité de sa mise en scène, son ton résolument décalé ainsi que son écriture burlesque en font une œuvre insolite au charme certain. Sorte de poupée russe qui imbrique les genres les uns dans les autres (un road movie dans un film de guerre dans une comédie dans un drame intimiste), le film se double d’une profonde réflexion sur la reconstruction d’un pays ravagé par la guerre. Porté par un quintet d’acteurs en parfaite harmonie, le film prouve tout le talent de funambulisme de son auteur, capable de nous entrainer sur la corde raide qui sépare le rire des larmes.


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DeanMoriarty
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le 1 oct. 2016

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