Jean Vigo est un cinéaste atypique issu d'une famille pour le moins originale, puisque descendant d'une lignée de politiciens, notamment de maires, son père, quand a lui, fut un militant anarchiste puis socialiste, qui mourut en prison quand Jean Vigo n'avait que 12 ans, sachant cela, on peut déjà définir le genre de cinéma que le gamin décidera d'adopter plus tard. La réputation de Jean Vigo s'est faite sur 4 films tournés entre 1929 et 1934, qui représentent moins de 200 minutes de cinéma, puisque comme vous devez le savoir, il s'est éteint en 1934 d'une septicémie à l'âge de 29 ans seulement. Sa première entreprise, un documentaire muet d'une durée de 25 minutes, était A propos de Nice, et on peut déjà y voir toute l'énergie et les capacités de ce grand talent. Mais ce film est bien plus qu'une curiosité biographique; il est l'un des derniers films à sortir pendant l'ère fertile de l'avant-garde française et il reste l'un des meilleurs exemples pour illustrer le mélange des impulsions formelles et sociales de cette époque.
A propos de Nice semble être un film pensé pour être destiné à vibrer avec plus d'énergie politique que ne le font des films comme Berlin, Manhattan, ou d'autres exemples de ce type. On sent immédiatement que Vigo a insisté pour que l'approche "récit de voyage" soit évitée. Ici, on est plus dans l'opposition de l'ennui des classes supérieures, flânant à la côte et dans les casinos, contre la lutte pour la vie et la mort dans les ruelles les plus pauvres de la ville.
Il n'y a pas vraiment de clarté dans l'écriture, Vigo se concentre sur la force de certaines images plutôt que sur la continuité d'un plan plus vaste. On est carrément dans une logique ou le design doit émerger dans les images elles-mêmes, avec l'aide du montage.
La puissance des images provient de deux sources dans ce film, leur signification iconographique, et la qualité de la photographie dont elles jouissent. L'opposition, la confrontation, est la logique dominante derrière les images telles qu'elles apparaissent dans le film, de sorte que les prises de vues des hôtels, des femmes se prélassant au bord de la plage, des riches touristes, et des tables de roulette, se voient mélangées aux images de taudis, d'enfants malades ou pauvres, de déchets et de formes locales de jeu d'argent de ruelle. Montant en crescendo au fil des minutes, la puissance évocatrice de cette opposition trouve son point d'intensité maximal dans la séquence de carnaval qui termine le film, on y voit littéralement la puissance du ventre de la ville se déverser dans les rues et dramatiser un conflit qui ne peut pas être caché par la géographie.
Formellement le film oppose un schéma optique bidimensionnel, utilisé principalement pour les parties riches de la ville, à un plus tactile pour les quartiers pauvres. Toute la profondeur de la ville est saisie, et tout le matériel cinématographique y compris la caméra elle-même, participe à la danse charnelle de la vie, une danse dont l'érotisme est explicitement souligné par des ralentis assez novateurs vers la fin du film.
Fasciné par le surréalisme (ce film est sans aucun doute un gros hommage à Luis Buñuel), Jean Vigo utilise ici la juxtaposition d'images symboliques comme un cheminement pour le moins baroque. C'est purement un film qui possède un point de vue documentaire, puisque la caméra est utilisée pour capturer le regard des choses, rien de plus, rien de moins.
Au final, A propos de Nice est un film assez désordonné. Plein de techniques expérimentales et de prise de vue souvent maladroites sont utilisées, néanmoins, il s'en dégage l'énergie de ses créateurs et elle retentit comme un message fort sur la vie en société. La ville est construite sur l'indolence et le jeu et, finalement, sur la mort, comme si les gens bâtissaient leur propre cimetière petit à petit.
Mais on y distingue une force qui vient de la classe inférieure, la force de la vie bouillonnante que l'on peut sentir a travers les ordures et que Vigo utilise pour conduire son film. A propos de Nice est une avancée pour le cinéma français de l'époque, car Il reste l'un des rares exemples où plusieurs puissances d'un même milieu social se réunissent et sont filmés avec une ingéniosité irrépressible. C'est clairement le film qui a lancé la carrière de Vigo, quand on se penche sur son historique on se rend compte que la plupart des critiques de cinéma étaient impressionnés par le talent de ce jeune homme de 25 ans. Mais le film a connu peu de distribution; ce qui s'explique en partie par le déclin du cinéma muet à la fin des années 20, et beaucoup de films expérimentaux de ce genre ont subi ce changement d'époque.
C'est dommage, car ce film mériterait de connaître une plus grande reconnaissance, c'est vraiment un modèle de film de début de carrière dont tous les cinéastes débutants devraient s'inspirer, en y mettant, comme Vigo, de l'engagement, de l'indépendance, et de l'enthousiasme pour l'exploration artistique.