L'échec des pro-sexe

A quoi rêvent les jeunes filles, documentaire réalisé par Ovidie a fait beaucoup parler de lui, notamment sur Twitter. Sorti il y a une dizaine de jours, on peut le voir et le revoir sur youtube ici pour les intéressés : https://www.youtube.com/watch?v=kZQ8GUDscOw. Axé sur la pornographie, ce documentaire tente de faire un état des lieux de la situation actuelle en interrogeant des femmes sur le sujet, le rapport qu'elles entretiennent avec leur corps, la représentation des femmes dans le porno et par extension de la transposition de l'imagerie pornographique à divers domaines, tels la publicité, les jeux vidéos, la chirurgie esthétique. Pour qui s'intéresse régulièrement à ces questions, A quoi rêvent les jeunes filles ? n'apprend pas grand chose, mais la tentative de résumé est plutôt bien menée, sans que des solutions véritables n'apparaissent au grand chose.

Le documentaire démarre par un constat d'échec. Ovidie, connue dans le milieu du porno alternatif (je parle "d'alternatif" dans la mesure où le but recherché est de s'écarter de la norme) est la voix off à travers laquelle le spectateur comprend l'idéalisme avorté des féministes pro-sexe, même si celui-ci ne dit pas son nom, mais nous y reviendrons plus tard. Les féministes pro-sexe sont en quelque sorte des femmes qui ont cherché à se faire la place la plus large possible dans l'industrie du porno en proposant autre chose, quelque chose de mieux, notamment pour la femme qui est sans cesse choséifiée par un milieu qui lui veut tout, sauf du bien. Au 21ème siècle, le porno a connu de grandes mutations, à la fois endogènes et exogènes. Notez que ex-endogène est utilisé ici au sens économique, capitalistique du terme, ce qui ne pourrait être plus approprié.

Grâce à certaines têtes bien faites comme celle de Tom Ford, les codes porno se sont répandus comme une traînée de poudre dans les processus publicitaires de vente. Une femme nue pour vendre du parfum, des lunettes, des bijoux, pour vendre n'importe quoi et surtout de tout. Ils se sont aussi répandus dans des domaines tels que les jeux vidéos, comme l'explique relativement bien Mar Lard, même si là le phénomène apparaît plus complexe tant s'entremêlent les origines : exacerbation des formes féminines par graphismes cartoonesques, caricature de la virilité dans des oeuvres telles que God of War. Enfin, et c'est là l'impact le plus problématique de la chose, le porno touche notre propre corps : épilation intégrale généralisée pour les femmes, et augmentation des opérations chirurgicales visant à pratiquer une labiaplastie, qui pour rappel consiste à rétrécir les petites lèvres parce qu'elles sont trop visibles à l'oeil nu et pas en adéquation avec les sexes lisses des actrices porno. Merci l'aliénation. Le porno lui a profondément changé à l'ère de la Toile. Il est désormais beaucoup plus consommé, regardé et ce de façon gratuite la plupart du temps. Il y en a pour tous les goûts, les formes et les couleurs. D'après le documentaire, il paraîtrait que les jeunes femmes sont aujourd'hui friandes d'imageries BDSM, à ne pas confondre avec le phénomène Fifty Shades of Grey qui n'a de BDSM que le nom.

Ce n'est pas que c'était mieux avant. La femme passe d'une injonction à la pudeur d'une injonction à la salope-mais-pas-trop-mais-un-peu-quand-même, quoi qu'en disent les bouches en coeur qui pensent que le sexe est désormais génial parce que tout est d'apparence libérée. Les névroses existent, mais elles sont différentes, plus insidieuses et surtout plus individuelles, dans un monde qui parallèlement appelle justement à l'individualisme forcené.

Une fois que l'on a dit que rien n'a véritablement changé, que les problématiques ont été transférées, il n'y a malheureusement plus rien à ajouter. A quoi rêvent les jeunes filles ? se termine donc, et on ne sait pas trop quoi en faire. Pourtant, le fait que l'on ait tout dit dans une perspective pro-sexe est on ne peut plus cohérent. Pour tenter de faire une analogie, c'est comme si vous vouliez promouvoir l'écologie en parlant de croissance verte. Ou encore, faire en sorte que les pauvres vivent mieux sans changer le système économique libéral et capitaliste. Être pro-sexe en tentant de changer ce qu'est le porno en voulant proposer un autre porno est une intention certes noble, mais les circonstances actuelles tendent à prouver qu'il ne peut qu'y avoir un avortement de ces mêmes intentions. Pourquoi ? Parce que le problème vient du système en lui-même, et pas de ce que l'on en a fait.

Un article bidon sur le documentaire sur le site rue89, écrit à la moulinette paraphrasée cite un spécialiste du porno qui dans un élan de croyance personnelle sur ses remarques bien fondées nous dit que le porno est... politiquement incorrect. Politiquement incorrect. La vidéo 2 Girls 1 Cup a battu des records de vue, le nombre de femmes voulant se faire raboter la chatte augmente comme les dividendes des actionnaires français et Miley Cyrus lèche des cailloux dans son clip Wrecking Ball. Mais il y a encore des imbéciles pour croire que le porno c'est subversif, politiquement incorrect quand l'imagerie porno est plus présente que jamais, quand on bouffe et regarde porno pendant des millions d'heures à l'échelle de l'humanité. Le nombre de tartufferies dans le domaine relève tout bonnement de l'hypocrisie hallucinatoire. On notera également cet effet d'aliénation dans le documentaire, quand on râle contre le porno standardisé qui nous montre des filles jeunes, lisses, minces et intégralement épilées en filmant Ortie se prendre en photo en sous-vêtements, Ortie qui est jeune, lisse, mince et qui n'a pas un poil qui dépasse.

En réalité, il y a une chose qui est devenu dramatiquement et politiquement incorrecte : c'est l'amour. Parce qu'on aurait été habituéEs à attendre de l'autre de l'amour, on ne devrait plus s'en soucier. Du conditionnement il paraît. Encore une injonction produite dans un effet de miroir par rapport à la norme masculine qui nous mènera... Nulle part. Et rien ne changera.