"La vie n'est qu'une variété de la Mort, et une variété très rare"
Scorsese est un réalisateur qui me surprendra toujours. J'ai pris un immense plaisir devant ce film survitaminé qui est une véritable relecture moderne de Taxi Driver (bien que ce serait injuste de ne le cantonner qu'à ça). L'histoire est centrée sur un ambulancier qui travaille de nuit sans jamais réussir à se reposer, traumatisé par les nombreuses vies qu'il n'arrive plus à sauver dans un New York toujours aussi glauque, aussi crade. Mais à l'inverse de Travis Bickle qui avait perdu tout repère relationnel, ici Frank Pierce est plus humain bien que plongé dans des doutes incessants. Le cadre reste le même, mais le personnage change et évolue dans cet univers de bas-fonds où se mêle pauvreté, drogue, prostitution et violence. Scorsese livre ici un véritable voyage halluciné dans cet univers nocturne éclairé à la lumière des néons et des sirènes d'ambulance où la mort semble présente à chaque coin de rue. La mise en scène de Marty est juste admirable de nouveau et vraiment audacieuse avec des effets accélérés et autres séquences plus hallucinantes les unes que les autres. Ce qui nous plonge en immersion totale dans cette atmosphère propice à la descente aux enfers.
Car il est bien question d'une descente aux enfers pour le personnage de Cage hanté par le fantôme d'une fille qu'il n'a pas pu secourir et qui ne parvient pas à se réfugier quelque part jusqu'à ce qu'il rencontre Mary incarnée par la sublime Patricia Arquette. Le film arbore également une dimension religieuse omniprésente et intéressante à analyser. Pierce est dans le sacrifice perpétuel, il traverse New York comme un ange gardien mais souvent en pure perte. Et c'est toute l'empathie, toute l'affection qu'il peut porter pour les victimes qui le détruit progressivement, rongé par le remords et la culpabilité. Analyse d'autant plus intéressante qu'elle se situe dans un New York qui est plus que jamais la représentation d'une Amérique qui s'est bâtie sur la violence et qui ne s'en sort toujours pas. L'action ne sort jamais du cadre de cette ville toujours aussi ténébreuse et bercée par la folie. Et c'est d'ailleurs dans un "oasis" psychotique que Frank parviendra enfin à trouver un peu de repos, comme si il fallait vivre dans une réalité alternative illusoire pour se débarrasser de ses maux. Nicolas Cage est excellent dans ce rôle et le reste du casting n'est pas en reste, avec une galerie de personnages hallucinés et hauts en couleur.
Étonnant que ce Scorsese soit un peu oublié parce qu'il en a vraiment dans le ventre. En plus d'être formellement stimulant, il a plein de choses à dire sur cette société américaine en mal-être qui semble rester au point mort depuis de nombreuses années. Je retiens également cette phrase géniale où le personnage de Cage dit qu'il n'est pas là pour sauver des vies mais pour servir de témoin. Symbole-même d'une impuissance et d'une fatalité qu'il accepte sans pouvoir la digérer. Une oeuvre teintée d'amertume qui m'aura bien plu, Bringing Out the Dead est un film majeur de la filmographie de Scorsese, dans la continuité d'une oeuvre toujours aussi intelligente.