Il y a toujours eu la volonté chez Jia Zhangke de dépeindre la Chine contemporaine, une Chine en constante mutation, de manière brutale et aux détriments du peuple chinois, ces changements économiques et sociaux ne profitant qu’à une minorité de privilégiés. Son film, A Touch of Sin raconte à travers quatre histoires, comment est-ce que l’industrialisation et le capital engendre la violence, la rébellion et d’une certaine manière la résignation (le suicide de Xiao Hui dans la dernière histoire).
Jia Zhangke en s’inspirant de quatre faits divers oriente son film vers le genre. J’ai notamment pensé à une relecture moderne du Wu Xia Pian, avec l’utilisation de couleur vive (notamment le rouge) et le thème du chevalier errant qui va être confronté au mal (ici les personnes corrompues liés à la vente de la mine ou les clients riches du sauna). Le titre du film également qui fait référence à l’un des plus beaux films du genre : A Touch of Zen (King Hu, 1970). L’esthétique pictural renvoie à la peinture chinoise, le Shanshui, avec ces grands plans d’ensemble vidés de toutes populations qui sont seulement traversés par nos personnages. Régulièrement ces paysages sont pervertis par l’industrialisation, un simple panoramique révèle le changement spectaculaire de l’environnement où cohabite l’architecture traditionnelle et des usines fumantes. Il est également fait mention à plusieurs reprises de la littérature chinoise avec des représentations théâtrales, on y évoque des héros du passé, signifiant qu’aujourd’hui ils n’existent plus que pour divertir les individus et non les inspirer.
En ce sens, la première séquence du film nous annonce les trois lignes directrices du récit : la violence sera froide, instinctive (San’er tue froidement trois malfrats), elle mènera à un bain de sang inévitable (la cargaison de tomates rouges renversées sur la route) et surtout elle sera soudaine comme le démontre l’explosion pour le moins impromptue qui précède le titre du film.
C’est d’ailleurs San’er le travailleur saisonnier qui ouvre le bal de la violence en tuant trois jeunes qui ont essayés de le voler. Il passera ensuite à côté de Dahai, avant qu’on le retrouve dans la deuxième histoire. A la fin de celle-ci, San’er après avoir froidement tué un couple qui sortaient d’une banque prend la fuite, il prend un bus avant de le quitter en cours de route. Au sein de ce bus, se trouve l’amant de Xiao Yu, personnage principal de la troisième histoire. La violence se repend dans le sillage de San’er car il a lui choisit un mode de vie criminelle, il contamine les autres. En revanche, il y a bien une rupture avec la quatrième histoire car celle-ci se focalise sur la jeunesse, une jeunesse en perdition victime collatéral des changements économiques brutaux en Chine. Contrairement aux trois premiers personnages, Xiao Hui n’a pas connu les prémices de ce changement, je pense notamment au massacre de la place Tian'anmen en 1989. Il est dans une posture de résignation d’où le fait qu’il choisisse le suicide comme une forme d’échappatoire.
Les meurtres sont brutaux, filmés en plan-séquence, il n’y a pas de hors-champ. Dans la troisième histoire, Xiao Yu est humiliée jusqu’à l’épuisement par un riche client qui la frappe avec une liasse de billet. Il y avait une scène similaire dans Plaisirs inconnus (2002) où mille fois une jeune femme tentait de sortir d'un bus, et mille fois elle était repoussée. Sauf qu’ici, on ne se laisse plus faire, Xiao Yu se défend et tel le serpent venimeux porte plusieurs coups de couteaux à son agresseur. Jia Zhangke ne cherche pas à porter un jugement sur les personnages, puisque l’on ne voit jamais les conséquences de leurs actes, il dénonce sans concession les affres de cette Chine contemporaine qui préfèrent laisser sombrer des individus dans la violence pour leur propre survie. Les « rebelles » n’ont pas leur place dans cette société puisqu’une « triste vie vaut mieux qu’une belle mort ».
Le constat est sans appel, on demande aux rebelles de reconnaître leur faute face à une masse indifférente soumise au désir des puissants, condamnés à ne rien changer et à se laisser faire. Oui, mais jusqu’où ?