Énorme classique et représentant asiatique chouchou des festivals huppés 70s, c'est ici la parfaite croisée entre le chambara japonais et le wu xia pian Hongkongais. Un traitement du genre contemplatif et mystique qui sied mieux à la critique guindée en somme et qui imposa la réputation de son réalisateur en occident. Pour autant A touch of zen ne peut se résumer qu'à cela. Aujourd'hui encore, ce film fascine de par sa singularité, comme celle de toute la filmographie de King Hu. Pour tous les HKphiles en quête du wu xia pian ultime, A touch of zen semble s'approcher et même personnifier le Saint-Graal tant tout y est condensé et démontré avec la verve, l'avant-gardisme, la poésie et le talent esthétique d'un très grand maître, King Hu, véritable peintre de film.
A Touch of zen débute pourtant très tranquillement, sans envolée magistrale, souci graphique forcené ou combats sous tension en guise d'entrée comme peut le faire son plus accessible, et beaucoup plus typé studios Shaw, "L'hirondelle d'or", mais c'est pour mieux nous baigner progressivement et subrepticement dans une ambiance irréelle de plus en plus captivante et finir en apothéose de méditation.
On y retrouve les thèmes chers à King Hu, la femme fatale et maternelle, "force de la Chine", humble et déterminée, et son penchant pour mettre en avant la subtilité des artistes et leur intellect plutôt que la force brute. Il est ici question de finesse et d'esprit avant toute action ou tuerie insensée.
Début tranquille dans un village plutôt classique qui semble abandonné aux esprits, seul le peintre local semble égayer de ses œuvres et de son innocence un malaise déjà présent et voulu, une sécheresse et un goût amer qui planent. Mais déjà, le montage montre un savoir-faire extrême à mettre en place un suspense, une tension, un mystère enveloppé de silence qui éloigne le film du schéma de divertissement HK classique. Rien de bien apeurant pour un œil actuel mais pour l'époque, l'ambiance est tout bonnement unique et tellement maîtrisée.
La seconde partie nous emporte définitivement vers les hautes cimes du mystique avec des personnages qui se dévoilent finalement grands combattants, un moine shaolin, plus que tous ses successeurs, sage et grand, Bouddha en personne, des combats en tout point précurseurs, poétiques et violents, des paysages mirifiques, un souci du détail de toutes les secondes, tout autant dans la contemplation que dans l'action, les deux en même temps à vrai dire. A propos d'action, l'utilisation de trampolines pour simuler les sauts surhumains à priori risibles font partie du jeu et le plaisir est immense malgré les chorégraphies simples mais ultra novatrices pour l'époque. Et puis, c'est King Hu, c'est donc la grande classe. Il sait comment nous attirer pour qu'on y croit aveuglément.
L'utilisation des ralentis n'est pas souvent la bienvenue dans un wu xia pian duquel on attend forcément une bonne dose de fureur, mais c'est King Hu, c'est la grande classe, point barre. La fureur est là au moment où elle doit l'être, pas ailleurs, et les ralentis sont utilisés eux aussi quand ils ont une vraie valeur et un sens, lors d'instants de grâce inoubliables où la beauté de la lumière fusionne avec la beauté du mouvement, lorsque la sagesse et la paix se mêlent à la détermination et la violence, le tout en parfaite harmonie.
Malgré une trame classique de combat pour le bien entre un petit groupe de bons et un seigneur très méchants bien épaulé et entouré, sur fond d'histoire de fantôme qui relève de la superstition, King Hu va très loin dans les thèmes de la beauté face à la laideur, de la douceur face à la brutalité, de la contemplation face à l'action, de la poésie face à la violence. Une peinture, une symphonie, un bloc de granit, un moment de grâce, un classique, le Saint-Graal, il ne manque finalement à Touch of Zen qu'une copie digne de sa beauté.*
*Et cette restauration tant attendue a eu lieu début 2015 pour une ressortie ciné. On attend le BR...