Si A Touch of Zen avait été une œuvre occidentale, j'aurais dit sans hésiter qu'il s'agit d'une épopée, tant il est évident que l'action du film se déroule sur deux niveaux, le niveau humain et le niveau cosmique. Les premiers plans du film sont en cela très symboliques : des images d'une toile d'araignée, puis nous passons de l'ombre à la lumière, du petit au gigantesque. Puis, un fort à la frontière sino-mongole envahi par la végétation et comme déserté par les humains. Il faudra attendre plusieurs minutes de film avant de voir apparaître le premier homme.
Combat de l'ombre contre la lumière, rôle essentiel accordé à la nature, sérénité de la végétation contre inquiétude de l'apparition du mystérieux Ou-Yang. En quelques plans, le réalisateur, avec cette finesse et cette maîtrise qui seront ses marques de fabriques 3 heures durant, plante une action complexe qui se jouera sur plusieurs niveaux.
Action complexe, en effet. Essayer de résumer A Touch of Zen est une gageure. Nous avons donc ce fort, Ching Lu, à la frontière entre la Chine et la Mongolie. Dans le fort, nous avons Ku Sheng-Chai, un écrivain public qui voit apparaître un être mystérieux. Puis, dans la maison voisine, maison que l'on croit volontiers hantée, une demoiselle vient s'installer avec sa mère. Pendant la première heure du film environ, le cinéaste va nous présenter différents personnages, toute une population dont les liens se feront petit à petit de plus en plus complexes. Toute une heure où l'on croirait volontiers qu'il ne se passe rien, mais qui est pourtant essentielle et lors de laquelle on peut assister à une démonstration de mise en scène. Avec une fluidité incroyable dans le récit, King Hu tisse, sans qu'on s'en rende compte, tout un réseau de relations complexes entre ses personnages. Sa narration est un modèle : il a l'air d'insister sur rien, et pourtant chaque scène, chaque plan a son importance, rien n'est superflu.
En plus de ce substrats complexe de relations humaines, King Hu profite de cette première partie pour faire monter progressivement la tension. On devine les conflits latents entre les personnages. Plusieurs fois on sent même ces conflits prêts à éclater. Mais ils sont repoussés. Et plus ils sont repoussés, plus cela fait grimper la tension dramatique.


Les conflits entre les humains se montrent aussi dans la nature. L'opposition la plus flagrante est celle qui se fait entre l'ombre et la lumière. Ou-Yang est un homme de l'ombre. Lors de sa première apparition, c'est d'ailleurs son ombre que nous voyons en premier, son ombre qui s'étend sur le pauvre Ku. Puis Ou-Yang est celui qui se déplace dans l'ombre, en se cachant.
Ces forces de l'ombre sont évidemment liées aux côtés sombres et cachés de l'âme humaine. Ou-Yang est lié à l'Eunuque Wei et à son capitaine de la police politique, Meng Ta. Des personnages, tout de rouge vêtus, qui représentent la violence, mais aussi le crime et l'iniquité. Autant de bouleversements de l'ordre cosmique.
Bien évidemment, face à eux, se plante le soleil, qui est quasiment un personnage à lui tout seul. Sans vouloir trop en dévoiler, ce soleil prendra une importance tout à fait primordiale dans la séquence finale, qui est juste sublime.
Donc, les crimes et la violence sont des perturbations des forces de la nature, là où un homme juste comme Ku est montré comme vivant en harmonie au sein de la nature. Il n'y a qu'à voir la très belle scène de combat sur la colline des bambous verts : les hommes de la police politique coupent les bambous alors que Yang et Shi les utilisent pour combattre. Les uns attaquent la nature, les autres se serve respectueusement de sa force.
C'est ainsi que, petit à petit, le film élève son propos. Film de revanche, film d'action ponctué d'humour, film politique, A Touch of Zen sait aussi se faire film spirituel et philosophique. Comme Mademoiselle Yang a compris que, pour vaincre, elle ne doit pas se fier à la seule force physique mais doit aussi la combiner avec une saine spiritualité et avec les éclairages de l'intelligence (c'est ainsi qu'elle dresse autour d'elle toute une équipe, réunissant aussi bien des généraux qu'un stratège et un moine), le cinéaste King Hu sait convoquer aussi bien les ressorts traditionnels du genre que les symboles spirituels, le tout toujours avec cette fluidité incroyable. Non seulement le spectateur assiste à un film d'action éblouissant, mais à une œuvre intelligente et belle.
Et puisque nous sommes bel et bien dans un film d'action, disons juste deux mots des scènes d'action. A Touch of Zen en contient finalement relativement peu, eu égard à sa durée, mais elles sont superbes. Les combats sont aériens et King Hu sait employer des mouvements de caméra et un montage très travaillés. Et, là aussi, l'élément naturel passe bien souvent au premier plan, au sens premier de l'expression. Dans tous les combats, on se retrouvent avec des plantes, des arbres, des bambous au premier plan de l'image. Mais surtout, on a la forte impression que la nature elle-même semble combattre du côté de Yang. Comme si le combat qu'elle mène engageait l'ensemble de la création.
Sur un plan symbolique toujours, le film peut se lire aussi comme un récit initiatique dans lequel on apprend à atteindre la sérénité en dominant la violence de nos instincts.
En bref, A Touch of Zen est un spectacle complet et formidable, tour à tour impressionnant et drôle, toujours passionnant (je n'ai pas vu défiler les 3 heures), ponctué de combats magnifiques et d'images superbes, et en plus intelligent. Bref, un film rare.

SanFelice
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le 24 mars 2018

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SanFelice

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