Déjà pendant la saison 5, le ver était dans le fruit, avec ces intermèdes musicaux immondes et irrécupérables, à quelque degré que ce soit. Après son achèvement officiel en 2003, la série Absolutely Fabulous continuait de vivoter via des 'hors-saison' (pour ne pas dire hors-série ?) douteux ; la seconde vague de ces derniers (en 2012) préparait le terrain à un grand retour. Il fallait s'arrêter depuis longtemps, autrement dit accepter de se ranger, finir avec les archives en espérant l'indulgence, ou même l'enthousiasme. Fin 2016, Absolutely fabulous the movie vient salir ce petit édifice et s'affale aux niveau de ces nombreuses suites piteuses de gros filons old-school : Patsy et Edina font leurs Bronzés 3. Peut-être qu'on ne peut pas, tout simplement, rejouer le même numéro éternellement ; surtout si le mépris ou la connivence sont plus cultivés que la sympathie, le respect même paradoxal (pour un crétin génial ou une ordure sublime par exemple).
La série était taillée pour les gens fatigués (physiquement), les alcooliques, homos, puis les gens dans l'amour/haine (ou juste un des deux) envers la dignité humaine, ou les fantasmes libéraux-libertaires/libertaires mondains. Le film s'adresse davantage aux enfants entourés par la grossièreté des 'rupeints', croulant sous la fiente des branleurs bling-bling – éventuellement en l'aimant tendrement. Pour le reste, il peut compter sur les vieux nostalgiques, les obsédés du 'mauvais goût' et les dionysiaques beaufs-urbains et vaguement à jour ; s'ils sont complaisants – et il y en aura toujours. D'ailleurs le principal argument du film est d'actualiser le filon, en adéquation avec la volonté éternelle de Patsy et surtout d'Edina ; en dérapant donc avec elles. Le risque pour les concepteurs de devenir ce qu'ils portaient à l'écran, sans plus aucun recul, était là depuis le départ ; l'enthousiasme et la connivence ont bouffé l'intelligence et l'éclat d'AbFab. C'est un film à caméos présumés appétissants, comme en atteste toute l'emphase à l'égard de Kate Moss. Patsy & Edi se mettent au goût déplorable du jour, avec un grotesque involontaire même lorsqu'elles se frottent à l'élite des prescripteurs de la mode ; et le film est au niveau, avec cette esthétique chic dégueulasse, ce minimalisme 'en théorie' défiguré et pollué par chaque bouts. Jennifer Saunders ne joue pas du décalage entre le côté fringant high-tech et les bouffonneries repassées. Elle capitalise sur quelques excentricités, des inadaptations renvoyant aux ADN dépassées des deux démons, avec un minimum de valeur ajoutée en terme de gags et une régression pour les caractères.
Les tendances antisociales de Patsy sont presque passées sous silence (ce qui est défendable d'un point de vue 'réaliste'). Le personnage perd quasiment tout son intérêt, ses côtés déglingués, ou même ses petites faussetés étant fades en eux-mêmes – d'ailleurs ils s'estompent eux aussi. Sans surprise, c'est Edina qui résiste à l'usure : moins délirante, plus sensible, elle a le tort de ne pas être rendue volontairement pathétique. Ce qui l'est chez le tandem, c'est cet effacement, banal et médiocre, ne traînant rien de tragique, presque rien de pittoresque ou de comique. Il n'y a plus ce côté 'épais', ce semblant d'impulsivité un peu magique ; Patsy et Edina se perdent dans l'horizon post-moderne, après avoir exulté dans leurs cocons entre deux razzias brutales et démonstrations publiques d'hystériques. L'emballage est féminin, voisin de celui de Fleur du désert. Voici l'échec du glamour et des rêveries hype, le triomphe du glaire de mégère bling-bling cynique n'est pas à l'ordre du jour. Patsy & Edi sont de vieux débris tenant bon ; mais où sont les déchets exaltés, où sont les histrions infréquentables ?
En plus le film est peu agressif envers ses cibles ; la série ne l'a jamais trop été, seulement aujourd'hui le portrait est peu porteur ou significatif. Il faut être attentif pour repérer la dérision des mantras politiques post-modernes, 'l'ouverture culturelle' tournée au ridicule ; c'est l'objet d'une ou deux scènes, de deux ou trois anecdotes. Il y a bien des miettes valant surtout par leur potentiel (étendues sous le soleil, les vieilles liftées avec toutes le même visage artificiel). Saunders épingle les mouvements grégaires ridicules (paniques, excitations ou bad buzz), dont l'incident-clé (la bourde sur-médiatisée d'Edina, provoquant la fuite à St-Tropez) ; c'est assez drôle et rapidement gâché. On s'éternise à souligner, amplifier ; c'est à se réjouir qu'il y ait si peu d'idées. La virée est cousue d'outrances molles. La nécessité de mentir pour atteindre la grande vie renvoie au français L'Arnacœur, 'romcom' autrement efficace, subtile et présomptueuse. Le mariage absurde est une belle tentative de décollage (cette cérémonie sent les dernières heures des Lumières comme de leurs adversaires).
Ce spectacle est trop fainéant et amorphe pour flinguer les vulgarités nanties, ou montrer la médiocrité. Il se vautre juste devant, éventuellement dedans, avec fatigue et en laissant les héroïnes courir, quelquefois gueuler. Le dynamisme n'est plus nécessaire quand on sait être criard ; il y aura peu ou pas d'ennui ('ennui' ou ennui de surface) pour qui se laisse bercer, sauf dans le dernier tiers quand il y a enfin un projet et une résolution. Malgré tout avec juste 1h23 (hors interminable générique) tout ça dure encore trop longtemps. C'est plus décousu qu'un épisode ou quatre à la suite, ça ne met pas le grappin sur un but puissant ou des thèmes de circonstances ; finalement, l'adaptation française avec Josiane Balasko était meilleure. Il y avait de quoi rire, du culot et des performances, au moins on pouvait se réjouir d'un plantage si flamboyant. Mieux vaut un joyeux désastre qu'une débandade proprette ; mieux vaut un échec haut-en-couleur que le renoncement et la corruption.
https://zogarok.wordpress.com/2016/11/27/absolutely-fabulous-le-film/