Alors qu'en ce moment les sujets de la réforme des retraites ou bien celui du (mauvais) traitement des personnes âgées en EHPAD sont au cœur de l'actualité, Paco Plaza nous livre avec son Abuela, un film de genre bien plus intelligent qu'il n'y paraît grâce à une réflexion sociétale pertinente...et dérangeante.
En 1976, Narciso Ibanez Serrador nous posait une question bien singulière avec son film Quien puede matar a un nino ? (sorti en France sous le nom Les Révoltés de l'an 2000) qui signifie : « Qui peut tuer un enfant ? ». 55 ans plus tard, l'un des dignes héritiers du cinéma horrifique espagnol Paco Plaza semble à son tour vouloir nous questionner avec La abuela (la grand-mère en français) qui aurait très bien pu se nommer "Qui peut tuer une grand-mère ?"... A l'instar du film de Serrador, de nombreux long-métrages ont présenté les enfants comme de possibles véritables monstres (Le Village des damnés, Damien la malédiction...), « l'enfant diabolique » devenant presque à lui tout seul un sous-genre. Par contre, présenter une personne âgée comme une entité diabolique s'avère être moins courant et figure comme l'une des principales originalités du dernier film du réalisateur de Rec. Au-delà du côté épouvante, Plaza en profite surtout pour poser de nombreuses problématiques avec Susana, la petite-fille, bien « obligée » de s'occuper de cette grand-mère paralysée, qui ne communique plus et semble atteinte de démence. Grâce à de superbes séquences, magnifiquement mises en images, où on voit Susana donner à manger, laver, changer le lit de son aïeule, Plaza nous rappelle le dur quotidien des soignants, et ici plus particulièrement des « aidants » laissés pour compte, s'abîmant leur santé pour maintenir leurs proches en vie ... Dédaignant d'abord la possibilité de mettre la mamie dans une résidence spécialisée (les pays méditerranéens n'ont pas la même culture familiale qu'au nord de l'Europe), elle finira par s'y résoudre dans la douleur et la honte pour pouvoir continuer sa carrière professionnelle...et pour s'éloigner d'une grand-mère de plus en plus inquiétante ! Enfin, si on ajoute le contexte du Covid qui met en première ligne nos « séniors » (le film devait d'ailleurs se dérouler en partie en EHPAD, comme Quien a hierro mata son avant-dernier film, mais la situation sanitaire ne l'a pas permis), on peut dire que cet Abuela est plus que d'actualité...
JEUNESSE ÉTERNELLE
Prix du jury au dernier Festival de Gérardmer, Abuela n'est bien sûr pas qu'une simple chronique ancrée dans le quotidien et se pare d'une ambiance mystérieuse à souhait. Grâce à l'utilisation du 35mm, l'espagnol nous livre une image travaillée qui fera songer aux œuvres des années 1960-70 comme Rosemary's Baby qui par bien des égards (le générique, des drôles de rêves érotiques, une boisson « sanguine », l'appartement qui devient un acteur à part entière...) renvoie à la paranoïa croissante de Susanna piégée dans un huis-clos face à ce monstre que semble devenir sa grand-mère.
Comme le dit lui-même le cinéaste, « notre société a diabolisé la vieillesse. »...et il va donc jusqu'au bout du concept avec une nouvelle histoire de possession, le « diable » ayant trouvé refuge chez l'octogénaire magistralement interprétée par Vera Valdez. Un thème récurrent chez le réalisateur, que ce soit avec la saga Rec ou Victoria, sorti en 2018. Même s'il n'invente pas grand-chose dans le genre horrifique, et multiplie au contraire de nombreuses références, Plaza livre un récit singulier et dérangeant (la scène de l'étranglement « accidentel » fait froid dans le dos), tout en plaçant ses propres codes comme ces poupées russes symbolisant les ancêtres qui sont en nous ou bien ces grands-mères mi-vampires, mi-sorcières ! Le choix des deux actrices principales est éloquent avec Vera Valdez et ses 85 ans, ancienne égérie de Coco Chanel, face à la néophyte et également ex-mannequin Almuneda Amor. Dans le film, elles jouent deux femmes victimes de leurs corps et de leur âge. Ainsi Susanne, et ses 25 ans, se verra qualifiée de « vieille » par un photographe... Le « diktat » de la jeunesse n'est jamais bien loin et ce n'est pas un hasard si le casting est quasi-exclusivement féminin tant elles sont prisonnières de leur propre corps et les premières victimes de ce regard de la société. Les nombreuses allusions aux miroirs, aux visages découpés, ainsi que la nudité crue mais jamais vulgaire montrée via le regard acéré de Plaza renvoient aussi à cette jeunesse éternelle impossible mais toujours désirée...
Certes les amateurs de Rec, avec ses effusions gore et son rythme trépidant, pourront être désarçonnés par le dernier film de son créateur, au contraire sobre et suggestif. Mais on ne peut que saluer ici la démarche de Plaza qui tout en réalisant un film de genre, nous livre une réflexion des plus pertinentes sur notre rapport à la fin de vie et à nos aînés.