[critique originellement sortie sur le site spécialisé Sancho Does Asia en 2013]


Phoenix Wright est un avocat débutant. Son premier procès se solde par un échec : l’innocence de son ami d’enfance, Larry Butz, n’a été obtenue qu’après l’intervention de sa collègue et amie Mia Fey.
Quelques jours après ces débuts difficiles pour Phoenix, Mia Fey se fait tuer. Elle lui a auparavant laissé un message, concernant une preuve importante sur une certaine affaire « DL6 ». En se rendant à leur cabinet commun, l’avocat trouve la sœur de Mia, Maya. Malgré sa présence auprès du cadavre de Mia, Phoenix est persuadé de l’innocence de l’étrange Maya, a contrario de l’inspecteur Tektiv qui, lui, l’envoie directement au tribunal.
Wright va donc s’attacher à la défendre, tandis que Benjamin Hunter, ancien ami d’enfance de Phoenix et de Larry Butz, sera le procureur de cette affaire. Fort de son arrogance et de tous ses procès gagnés, Hunter est convaincu de sa victoire. C’est sans compter sur la pugnacité de Phoenix Wright et les nombreux rebondissements de l’affaire…


Ace Attorney est un film de Takashi Miike, sorti début 2012 au Japon et, par chance, projeté lors du Festival Kinotayo en France. C’est l’adaptation d’un jeu vidéo édité par Capcom, sorti sur Game Boy Advance au début des années 2000, au Japon uniquement, puis en 2006 en France et ailleurs, par le biais de remakes sur DS.


Il est aisé de se rendre compte, après quelques films, qu’une adaptation de jeu vidéo au cinéma est souvent synonyme d’une œuvre plus ou moins bien ratée, à l’exception de certaines tentatives. Citons dans le désordre le délirant et très punk Postal de Uwe Boll (qui règle ses soucis avec les critiques sur un ring), l’ambiance cauchemardesque de Silent Hill (Christophe Gans), les nanardesques House of the Dead et Alone in the Dark (Uwe Boll encore), Doom (Andrzej Bartkowiak), Super Marios Bros (Rocky Morton), Mortal Kombat (Paul W.S Anderson, par ailleurs coupable des adaptations de Resident Evil)…


Ces quelques films (je garde tout de même un excellent souvenir de Postal) illustrent ce qui arrive généralement lorsqu’un jeu passe du PC ou de la console à l’écran de cinéma : des transpositions plus que bancales de l’univers du jeu, qui deviennent ainsi complètement risibles (les Resident Evil vont, à ce titre, très très loin dans le ridicule), des scenarii n’ayant souvent ni queue ni tête, des costumes débiles et outrageants pour les fans… L’entreprise de Miike d’adapter Ace Attorney était donc risquée, peut-être regardée d’un mauvais œil par les fans du jeu qui ne connaissent pas forcément le réalisateur.


Risquée notamment parce qu’Ace Attorney possède des mécaniques bien spéciales. C’est un jeu de réflexion, dans lequel on incarne un personnage, l’avocat Phoenix Wright, que nous devons accompagner le long de quelques affaires qui composent l’histoire. Le jeu est découpé en séquences d’enquêtes, puis vient le jugement, probablement la partie la plus connue avec ses « Hikigari ! » (Objection !). Le but étant de prouver l’innocence de son client, face à un procureur, en faisant intervenir tour à tour témoins à la barre (souvent complètement loufoques) et preuves afin d’arriver à nos fins, et éviter celle de notre client.


L’ensemble du débat est arbitré par un juge, qui n’hésitera pas à condamner l’accusé si notre jugeote ne nous permet pas d’amener au bon moment la bonne preuve ou le bon témoin. De plus, le juge peut nous demander des détails précis sur les preuves. Il faut donc bien réfléchir avant de parler ! En somme : un vrai jeu vidéo, doté d’un gameplay qui lui est spécifique, et de prime abord difficilement imaginable au cinéma.


Petit aparté (celui de l’âme du joueur qui se réveille), sur ce qui semble être l’écueil principal des adaptations. Non que le cinéma soit de mauvaise volonté pour adapter les univers vidéoludiques. Mais ce qui ressort principalement, c’est qu’une licence est surtout adaptée pour se faire compresser toute sa moelle en espèces sonnantes et trébuchantes, dans un but mercantile, en faisant fi de ce qui compose l’univers propre du jeu. Ainsi, le monde maintenant fort popularisé du jeu vidéo (ce qui n’était pas encore le cas il y a quelques années), n’est qu’un prétexte à faire plus de blé, et non à dénicher les trouvailles artistiques, les mécaniques de jeu qu’il pourrait être intéressant de traduire au cinéma. Car pour ceux qui ne sont pas encore convaincus, le jeu vidéo recèle de productions dont les idées, les ambiances et les univers n’ont rien à envier au cinéma. Quoiqu’il en soit, Capcom, qui ne doit pas avoir intérêt à détruire l’aura d’une licence aussi fameuse que Phoenix Wright au Japon et en Occident, semble avoir trouvé la bonne personne avec Miike.


Phoenix Wright, donc, est disposé à aider la pauvre (ou non, qu’en savons-nous ?) Maya dans cette affaire. En se rendant sur les lieux du crime, il découvre quelques étrangetés, aptes à disqualifier l’accusation contre sa cliente. Pourtant, Benjamin Hunter, son ancien ami d’enfance, semble bien motivé à défaire Phoenix de cette affaire, d’autant plus que ce dernier n’en a encore gagné aucune. Après avoir récupéré ce qui leur semble être des indices (et j’insiste sur le mot « semble » !), les deux ex-amis se rendent au tribunal : le grand jour est arrivé, l’affaire peut commencer. Au départ déstabilisé par la hargne de Hunter, Phoenix reprend peu à peu la main, notamment grâce aux dons de médium de Maya… Mais les témoins, défilant devant le juge, corroborent tous la version donnée par l’un des principaux témoins, qui a tout vu de sa fenêtre. Mais aussi tout entendu, tout lu, et même vu ce qui apparaissait pourtant comme invisible… Etrange, étrange, n’est-ce pas ?


Cette première affaire est une longue exposition qui nous permet de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans l’ensemble du film. Car, chose quelque peu étonnante, Ace Attorney intègre deux intrigues liées entre elles, mais traitées l’une après l’autre. D’un côté l’affaire du meurtre de Mia, de l’autre celle de... (je vous laisse la surprise) qui est accusé(e) contre toute attente d’homicide !


On peut légitimement penser face à cette exposition à une sorte de didacticiel (premier niveau d’un jeu nous permettant de nous faire au gameplay), un peu long. Quoiqu’il en soit, cette première mise en bouche, comme l’ensemble du film, s’avère particulièrement burlesque. Le film est drôle, très drôle, on se marre, on pouffe, éclate, on se bidonne et sourit... Bref, on rit beaucoup. Cette ambiance cartoonesque est notamment due au fait que les personnages du jeu sont bien retranscrits, tant dans la forme que dans leur psychologie : ainsi le détective Tektiv avec son bandage à la joue et ses entrées en scène fracassantes (du Nô-comique, ou du Nô-sens ?), l’hilarant Larry Butz ou encore la mystérieuse Maya. Et bien évidemment Phoenix Wright et sa coiffure aérodynamique, qui semble le faire voler à pleine vitesse durant tout le film.


En plus des personnages, l’ensemble des décors (assez peu nombreux) concourent à construire un monde féérique sur la base du jeu vidéo. Ils sont construits de telle manière à être agréables à l’œil, un peu virtuels, mettant parfaitement en forme l’univers du jeu (qui est en deux dimensions), le cinématographiant. C’est donc, pour l’enfant comme pour le joueur (le joueur enfant, ou l’enfant joueur), un plaisir à regarder, même si la récurrence ennuiera peut-être certain d’entre vous (mais ceci est dû aux allers-retours quasi calqués sur le jeu).


Plus encore que ses décors, ce sont les moteurs narratifs du jeu (les contradictions de témoins qui reviennent sans cesse sur leurs témoignages) et ses mécanismes qui sont retranscrits de manière plutôt intéressante et surtout divertissante : que ce soit les appels de témoins à la barre (bien évidemment complètement loufoques et disjonctés), ou les nombreuses volte-faces (l’avocat ou le procureur ayant trouvé une nouvelle preuve qui met à mal l’argumentaire de l’adversaire alors que tout semblé plié). Et c’est à noter, Miike retranscrit jusqu’au moindre détail les signatures visuelles du jeu : les « Objection ! », que l’on retrouve assez vite dans le film, comme les « Prends ça ! » bien entendu, ainsi que l’ensemble des récurrences du jeu, moins évidentes, sont cinématographiés. On retrouve les split screens présents avant qu’Attorney ne vérifie un témoignage dans le jeu, tout comme certains plans phares (les coups de marteau du juge pour calmer l’audience, les cotillons de la victoire, le shaky-cam, etc,.).


Par ailleurs, les effets spéciaux sont plutôt bien faits, et leur graphismes bien pensés, notamment lors des phases d’affrontement, lorsque Phoenix Wright ou le procureur « balancent » les preuves qu’ils ont en leur possession. Lors de ces phases, les effets spéciaux prennent de l’ampleur, les preuves étant projetées à haute vitesse dans la face du procureur, avec moult effets, au moyen de grands écrans modernes et luxueux. Ces derniers viennent souvent de nulle part, attrapés ça et là dans le vide par le procureur ou Phoenix, ce qui donne lieu à des moments souvent très drôles et rafraichissants, pour peu que l’on garde une âme enfantine (et peut-être quelque peu crétine, avouons-le). La salle du festival Kinotayo a réagi très positivement à ces arrivées, en dépit du fait qu’il n’y avait apparemment que peu de connaisseurs du jeu ou de Miike. Soulignons-le, l’ambiance, comme le film, était cool.


Le jeu des acteurs enfin, contribue lui aussi à la fidélité de l’adaptation : Hiroki Narimiya, l’interprète de Phoenix Wright, ainsi que celui de Benjamin Hunter, Takumi Saito, remplissent à merveille leurs rôles, à savoir incarner de parfaits stéréotypes. Mais celui qui m’a le plus touché (comprendre : qui m’a fait le plus rire) est sans aucun doute Akiyoshi Nakao, incarnant un Larry Butz, complètement hystérique, en faisant des tonnes durant tout le film, impliqué dans une sombre intrigue secondaire avec un mystérieux monstre pris en photo près d’un lac… Du grand et beau n’importe quoi !


A contrario, Mirei Kiritani dans la peau de Maya Fey, quoique fidèle esthétiquement au personnage du jeu, ne fait quasiment que de la figuration (mais certes, une assez jolie figuration). Le personnage est plutôt vide de charisme et consistance, n’étant là qu’en tant que deus ex machina bon à sortir lorsque l’intrigue en ressent le besoin (heureusement pas trop souvent).


Les deux heures et quelques que dure Ace Attorney sont donc bien remplies, Miike évitant – ce qui n’est pas nécessairement toujours le cas - l’écueil du film trop long qui se ralentit sur la fin. Encore que… L’ensemble est toutefois si divertissant que l’on ne peut que finir le film le sourire aux lèvres, heureux d’avoir autant ri à cette accumulation de « Kurae !! », « Hikigari !! », de questions stupides et d’un juge complètement influençable, changeant sans cesse d’avis avec pour seule réaction un visage impassible et une moue de la bouche suivie de "Hmmm... hmmm... Je déclare donc..." et la sentence qui s’en suit, quelle qu’elle soit. Ne parlons pas des témoins hilarants, des surprises et retournements de situations, des sorties de l’inspecteur Tektiv’, des interventions de Larry Butz...


Tout joue pour construire un monde féerique, apte à transporter autant l’adulte que l’enfant. C’est donc un réel plaisir pour les yeux que de voir cet univers complètement virtuel nous happer alors même que le scénario, issu du premier jeu, tient sur une feuille A4. Ace Attorney pourra ravir beaucoup de gens, que ce soit la famille ou le gamer. Une fidèle adaptation, oscillant entre le jeu et le cinéma, très divertissante, très drôle, très bien foutue. Et Miike de placer la barre haute en ce qui concerne les adaptations de jeux au cinéma. Que demander de plus ?

batche
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le 6 déc. 2019

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batche

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