Il y a un certain nombre de films qui laissent une indicible sensation, s'exprimant dans nos entrailles par une certaine douceur semblable à celle du velours, qui nous frappent le visage d'un impérissable rictus, et nous maintiennent dans la salle alors que nous sommes déjà ailleurs, rêvant d'autres horizons, enfermés dans une autre réalité commune que celle que l'on venait de nous céder.


Ce pouvoir d'ubiquité, Ad Astra me l'a noblement transmis. J'étais vissé sur le fauteuil. Happé par le spectacle cosmique que nous offrait James Gray par un travail d'image aux petits oignons.


Le film ouvre le bal en nous présentant un monde qui redéfinit l'actualisation des possibles : la station ISS n'est plus en orbite mais reliée à la Terre par de nombreux piliers mécaniques, substituts du souhait d'élévation quasi-permanente des hommes sur tous les plans. Brad Pitt égal à lui-même, au climax de ses performances, revêt machinalement et chaque jour durant sa combinaison d'astronaute dont l'opacité nous pèse en tant que spectateur et ne laisse que transparaître les traits d'une infinie solitude : Moue nonchalante, désespoir apocalyptique, rongé par l'inaptitude de la populace à accomplir quelque chose de leur vie. Rongé aussi par des sentiments contradictoires à l'égard de son père, brillant héros, pionnier de cette époque dont tout repère temporel nous échappe.


Le scénario peut nous laisser sur notre faim : une affaire d'expédition spatiale qui a mal tourné et qui menace l'humanité sur le fond du scellé top-secret, c'est du vu et revu. Ad Astra trouvera son salut dans la relation évoquée précédemment entre le protagoniste et son père et s'appréciera plus comme un documentaire philosophico-social.


À l'heure du consumérisme frénétique et des catastrophes écologiques, le réalisateur voit d'un mauvais œil la conquête spatiale par l'homme. Les fusées sont devenues des moyens de transports en communs, où l'on peut s'offrir le luxe de payer digitalement un pack oreiller-couverture. La Lune est devenue un terrain de jeux, sur laquelle on peut aller au restaurant. Nous sommes des « mangeurs de monde ». C'est un parti pris. L'homme est un parasite. Il s'approprie peu à peu l'espace et en devient son hôte. Délaissant les voies métaphysiques et existentielles qui transcendent les McBride. Comment se préoccuper des biens d'autrui quand la physique nous permet de savoir si nous avons ou non des voisins ?


Le Brad inanimé se confond en premier lieu avec l'espace. À la fois vide et pourtant à sa place. Tout le long du film, je ne cessai de me répéter les mots de ce cher Pascal : « Le silence de ces espaces infinis m'effraie ». Plus l'avancée se fait, plus l'introspection est forte. Le rythme cardiaque s'emballe. Le notre, en revanche, ralentit. On s'étonne de quelques scènes risibles qui dénaturent le propos du réalisateur comme celle des singes de laboratoire qui me laissent après réflexion toujours pantois.


L'odyssée se poursuivra dans une frénésie contemplative où McBride se mettra à nu avec lui-même, trouvant ses réponses une fois la destination atteinte, qui nous extirpe de la cabine temporelle dans lequel le voyage stellaire nous a propulsé. La figure paternelle, physiquement présente, à moitié aveugle et presque déjà morte déambule dans un cocon métallique à la manière d'un spectre errant. Les premiers mots, extrêmement douloureux, mettent un point d'honneur à la quête d'identité de McBride qui finit par saisir les clés de l'existence pendant que l'autre refusera d'admettre l'évidence même et mourra dans le déni.


La glorification de l’éternel sèmera le doute dans l'une des dernières scènes où l'imperceptible halo de lumière deviendra lueur d'espoir sur la question d'un Ailleurs. Quoi qu'il en soit et somme toute, pour Gray, il s'agit d'abord d'être, de ressentir, sur notre Terre, où la fraîcheur de la brise et les chants d'oiseaux font de cette espace un nirvana presque aussi attractif que les confins de l'espace.

Pripiat
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le 13 oct. 2019

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