3ème Festival Sens Critique, 8 +/16
Les scènes d’été qui ouvrent Adalen 31 pourraient s’avérer innocentes si un carton ne nous avait d’emblée annoncé le sujet, et l’issue du récit : celle d’une grève tournant au bain de sang. Car les séquences initiales abordent un pan original de la grève : celui de l’oisiveté.
Dans cette ville suédoise, les enfants bricolent des avions et sautent dans la paille, leurs ainés bricolent des instruments avec des balais, et l’on oublie en communauté les angoisses du contexte. Par touches délicates, la nécessité affleure cependant : on s’inquiète du prix que couteront les soins de l’enfant qui se casse la jambe, et la mère déclare « On n’a pas les moyens » à son mari qui veut lui faire l’amour.
Progressivement, et grâce au montage parallèle, les deux mondes se mettent en place : celui des ouvriers, celui des patrons. De chaque côté, les tensions s’exacerbent dans des débats tendus : continuer ou non, au risque de mourir de faim, et trouver la parade pour relancer les usines du côté des décideurs.
Entre eux, la jeunesse fuit, et ménage des passerelles : celle d’un érotisme initiatique et maladroit dans l’exploration des zones érogènes ou de l’hypnose ; celle de l’amour qui transcenderait les classes sociales, et expérimente dans un même temps les retombées sociales par la grossesse et l’avortement.
En prenant son temps, Bo Widerberg individualise des personnages qu’il nous rend profondément attachants, nimbant ses portraits d’une photographie dorée qui s’inscrit très clairement sous le patronage de Pierre Auguste Renoir, cité explicitement dans le film.
Le drame à venir sera à l’aune de cette délicatesse : abrupt, sans surcharge de pathos, sans recours à la musique, avec toutes les maladresses inhérentes à l’effet de réel. Widerberg ne tombe pas dans le panneau du lyrisme pompier des reconstitutions historiques à charge à la manière d’un Berri dans Germinal, par exemple.
[Spoils]
Tout le film s’inscrit sous le patronage de la lumière. Elle qui irisait le temps de l’innocence saura nourrir la contestation de sa fragile poésie, par le jeu des miroirs éblouissant les soldats.
C’est aussi celle de la jeunesse au secours du gouffre de la mélancolie : le fils reprend le flambeau : « Nous n’avons pas les moyens de faire un tel deuil », dit-il à la mère. Et de s’emparer de la chemise ensanglantée du père pour nettoyer les carreaux avec elle : la lumière entre à nouveau dans le foyer, et fait naitre un semblant de sourire, tandis qu’à l’extérieur, des bulles de savons viennent colorer l’air chaud.
D’une infinie tendresse pour ses personnages, pictural et délicat, Adalen 31 réussit sur tous les tableaux et parvient à nourrir sa dénonciation d’un sens esthétique particulièrement touchant.
(8,5/10)