Au sein d’une sélection comme celle du festival d'animation d'Annecy, les films se divisent souvent en deux catégories. Il y a les « outsiders », ceux dont personne ou presque n’a entendu parler et qui pourront, peut-être, créer la surprise. Et il y a les autres, les « favoris », ceux qui sont attendus de pied ferme par un public épuisé après des heures passées à arpenter les salles obscures. Adama appartient à la deuxième catégorie.
Un jeune garçon est immergé sous l’eau et reste immobile dans les profondeurs aquatiques... avant de rapidement remonter à la surface où jouent, sautent et plongent d’autres enfants. Alors qu’ils enchaînent les plongeons depuis un petit rocher, c’est au grand frère d’Adama de faire son entrée dans le film. Situé bien au-dessus d’eux, il les surplombe, et sous le regard intimidé des plus petits, il n’hésite pas à transgresser les recommandations des anciens qui marchent avec lui, et plonge à son tour dans la rivière. Ce deuxième plongeon annonce alors les grandes thématiques qui habitent Adama. L’admiration d’un jeune frère pour son aîné. L’idée de bravoure, voire de témérité et de détermination. La remise en cause de l’autorité, des traditions, voire des conseils prodigués par des adultes plus ou moins bienveillants. Ou encore, la perte de l’innocence qui s’accompagne du passage de l’enfance à l’âge adulte.
Adama, en effet, n’a que 12 ans lorsque son frère Samba décide subitement de quitter le village et de partir à la rencontre des Nassaras, tribu hostile qui habiterait le Monde des Souffles, au-delà des falaises qui entourent et emprisonnent le petit village sur lui-même. Tout ce qui s’étend au-delà de cette barrière naturelle et spirituelle ne serait que vices, dangers et menaces aux yeux du vieux sage et des villageois. Autrement dit, défense totale de quitter la vallée qui n’a jamais autant ressemblé à la caverne de Platon, plongée dans son ignorance du monde extérieur.
Aussi Adama, lorsqu’il décide de braver les interdictions et de partir à la recherche de son frère, découvre-t-il un autre monde ; le vrai monde, celui où la foule a remplacé la tribu, celui où l’océan à perte de vue s’est substitué à la rivière, mais surtout celui de la tromperie, de la misère, de l’étrangeté et de la guerre, aussi.
Tel un Candide à l’état brut, Adama brise la carapace rassurante qui le protégeait de cet autre monde. Il apprend à le connaître à mesure qu’il le traverse pour retrouver son frère, parti servir en tant que « guerrier » des Nassaras... qui en réalité s’avèrent être les colons français qui recrutent à tour de bras de la chair à canon dans l’espoir de gagner Verdun. Accumulant les épreuves et les coups dur, Adama ne recule devant rien et se rapproche toujours un peu plus de son unique but : retrouver son frère.
Un enfant dans la tourmente de la Guerre
Ce conte initiatique, tissé sous fond de Première Guerre Mondiale et de participation des colonies au conflit (trop souvent étouffée dans les manuels d’Histoire), livre le récit d’un enfant déterminé là où les adultes ont perdu tout espoir. Adama comporte tous les ingrédients pour séduire le public qui trouvera là une histoire émouvante et passionnante, le film étant servi par un sens du rythme, de la narration et du romanesque hors pair (Julien Litli, auteur du scénario, est aussi le coauteur d’Hippocrate sorti en salles à l’automne dernier). Pourtant, la beauté graphique du film est aussi un atout qu’il ne faudrait pas négliger, Adama se montrant à nos yeux sous la forme d’un savoureux mélange hybride de diverses techniques d’animation, entre 2D et 3D, ferrofluides (liquides magnétiques utilisés pour la scène du champ de bataille, par exemple) et modelages en terre crue pour les visages des personnages.
La fin du film, enfin, sera sujette à de nombreux débats entre les tenants d’une fin poétique, belle et émouvante et ceux qui auront une lecture beaucoup plus sombre et pragmatique. Sans trancher, Simon Rouby nous laisse la liberté d’interpréter.