J'ai découvert ce dont Sébastien Lifshitz était capable grâce à la diffusion du documentaire Petite fille l'année dernière sur Arte. Sa particularité, c'était qu'il s'agissait d'un documentaire monté et mis en scène comme une fiction : les images sont très esthétisées, et de nombreux plans semblent scénarisés. Alors personnellement je pense qu'il y a parfois eu des plans assez banals qui ont été tournés en plusieurs fois. Par exemple quelqu'un qui se réveille le matin ou qui ne fait rien en regardant l'horizon, typiquement j'ai du mal à croire que c'est le genre de choses qu'on va capter en une prise de la meilleure des manières avec le sujet qui va totalement oublier qu'il est filmé. Mais cette forme si particulière a un intérêt : montrer que la vie peut ressembler à un film et pas l'inverse...
Cette fois, on suit deux adolescentes, Anaïs et Emma. Elles sont très amies au début du film, visiblement un peu moins cinq ans plus tard, mais l'angle choisi par le réalisateur est plutôt bienvenu.
En plus de ce qui va faire de ces adolescentes des adolescentes, avec leurs premiers amours, le fait qu'elles mûrissent et donc s'engueulent parfois avec leurs parents, sont souvent à fleur de peau, le réalisateur va surtout chercher à montrer ce qui s'est passé ces 5 dernières années en France et comment cela peut impacter des gens tout à fait lambda, tout en ayant pris soin de choisir deux personnes issues de milieux bien différents.
En effet Emma a une vie plutôt aisée avec ses parents qui gagnent bien leur vie. Elle a des activités extra-scolaires, sa mère l'aide à faire ses devoirs même si elle ne s'y prend pas très bien et soûle plus sa fille qu'autre chose. Son évolution à elle est plutôt simple, elle est discrète et calme mais s'engueule souvent avec sa mère qui ne se préoccupe pas tant de ce que sa fille veut mais cherche surtout à ce qu'elle réussisse dans la vie. La scène de Parcoursup par exemple est assez révélatrice de cette différence de vision des choses entre la mère et la fille. On nous montre aussi, pas de façon très appuyée mais quand même, que politiquement elle se situe plutôt à gauche, qu'elle semble marquée par les attentats qui ont eu lieu en France mais parce que ça l'affecte, elle ne montre pas de sentiment de révolte.
Anaïs, c'est déjà autre chose. Parce que pour les attentats, elle est révoltée contre le climat de haine et la récupération politique qui peut se faire autour de ces événements sordides, ses parents ne comprennent pas forcément cela mais elle va tenter de leur expliquer. En fait Anaïs elle est passionnante à suivre au quotidien parce qu'elle ne roule pas sur l'or, parle de façon franche, et ses maladresses lui donnent une certaine personnalité. On sent qu'elle est souvent sincère mais elle n'a pas beaucoup de chance dans la vie et va faire au mieux pour s'en sortir. Et quand je dis qu'elle n'a pas beaucoup de chance dans la vie, il y a effectivement quelques épreuves pas très chouettes. J'ai bien aimé ce qu'on montre de sa relation avec sa famille. Elle veut se barrer de chez elle pour vivre sa propre vie, elle a l'impression que sa mère la perçoit de façon assez négative, mais d'un autre côté elle a du mal à les abandonner, s'occupe d'eux au maximum, elle tient la baraque en quelque sorte, avec le peu de moyens dont elle dispose. C'est forcément un parcours de vie qui me parle plus que celui d'Emma, mais ça n'a rien d'idiot de montrer ces deux ados bien différentes dans un même film.
J'ai tendance d'ailleurs à penser qu'il faut toujours deux personnes assez différentes au centre d'un film qui va nous raconter quelque chose pour qu'il soit bon, comme ça on a deux visions du monde à prendre en compte au lieu d'une, c'est un peu moins biaisé.
Donc au delà de l'authenticité de certaines scènes qui peut être discutée, je me suis laissé porter par ces tranches de vie montées de façon à construire un long-métrage cohérent.