Dans l’ultra-noir cosmique, la musique synthétique et baroque de Pierre Desprats déchire le néant. Alors que la planète After Blue émerge majestueusement au centre du plan, deux voix – Roxy (Paula Luna) et la Vérité (Nathalie Richard) – relatent l’effondrement de la civilisation humaine et son exil sur After Blue, une mystérieuse planète habitable où l’intégralité des hommes périt étouffée par des poils poussant à l’intérieur de leur corps. After Blue (Paradis sale) s’appréhende comme une société matriarcale, utilisant le sperme terrien uniquement pour sa propre survie, où les femmes vivent dans des communautés fermées aux allures de sectes néo-sabbatiques. L’espace, territoire omniscient de l’inquisitrice Vérité, laisse aussitôt sa place à la minéralité fantasque d’After Blue. Chez Bertrand Mandico, la science-fiction se construit dans un rapport à la terre, à la matérialité. L’action jaillit lorsque Roxy libère la criminelle Kate Bush (Agata Buzek) des sables où elle a été ensevelie. À partir du triple meurtre commis par la tueuse dissimulant un troisième œil entre ses jambes, After Blue (Paradis sale) prend la forme d’un revenge western.
Cependant, la quête vengeresse de Roxy et de sa mère Zora (Elina Löwensohn) n’est qu’un prétexte pour Mandico. After Blue (Paradis sale) est un western en négatif où la confrontation, usuel apogée, est inlassablement éludée par lâcheté ou désintérêt : Zora préférant rentrer avec un faux cadavre plutôt que de continuer cette chasse à la femme. Dans un genre traditionnellement masculin, les cowgirls de Mandico délaissent la mort au profit de la petite mort. Au sein de la brume métallique d’After Blue, les pulsions sont exclusivement érotiques. Comme Roxy l’énonce à la factuelle Vérité, la vérité comme réalité subjective absolue réside uniquement dans l’émotion. En partant à la conquête de leurs propres désirs, ces icônes cinématographiques, sublimées par les costumes de Pauline Jacquard et les maquillages de Bénédicte Trouvé, pervertissent – avec noblesse – le western. Clé de voûte du cinéma de Mandico, les actrices, dont le jeu est aussi protéiforme que la biosphère fantasmagorique qu’il imagine, participent à la métamorphose du genre à l’instar de l’approche pathético-burlesque d’Elina Löwensohn ou encore de celle sibylline de Vimala Pons (dans le rôle de Stenberg).
Toutefois, l’artificiel paradis sale d’After Blue est le fruit des fantasmes d’un homme, Bertrand Mandico. Une discordance malaisante s’installe entre le projet d’une planète matriarcale fictive et la réalité des images masculo-normées qui en résultent. L’univers d’After Blue recèle astucieusement des traces de la société patriarcale terrestre. Si l’idée que les marques de luxe soient devenues des marchands d’arme est cocasse, le maintien de la domination sexo-patriarcale dans les multiples insultes (« salope », « sale chienne ») questionne davantage. Le monde fétichiste conçu par Bertrand Mandico est foncièrement phallocentrique et aboutit sur un androïde « Louis Vuitton » doté d’un multi-pénis tentaculaire. Le traitement unilatéralement orgasmique du personnage de Roxy, élément défectueux du scénario, évoque plus l’archétype féminin dans le Hentai que la libération du désir féminin. Alors qu’elle aime métaphoriquement s’engouffrer toute entière dans des trous minéraux de plus en plus étroits, c’est la pluralité sensorielle de After Blue (Paradis sale) qui se rétrécit graduellement.