Ô Alexandrie, qu’a-t-on fait de toi ?
Le problème avec les péplums est simple, il se résume à une question : comment attirer les spectateurs pour leur offrir une vision fantasmée de l’antiquité. On en est bien là ; le seul film qualifié de Péplum à être vraiment en phase avec la réalité antique n’est autre que le Satyricon de Fellini. Pour le reste, passé la mode des œuvres kitchissimes des années 50-60, l’antiquité est revenue à la fin des 90’s avec le fameux Gladiator. Très bon film d’aventure, avec sa bonne dose de bons sentiments, un Joachim Phoenix parfait dans son rôle de grand salaud, Gladiator n’en reste pas moins une vision très contemporaine de cette Rome fantasmée.
Agora change-t-il la donne ? Alejandro Amenabar fait-il mieux que Ridley Scott ou Petersen ? Oui. Franchement, oui.
Primo, la reconstitution d’Alexandrie est superbe. Passé le « et merde » lorsqu’apparaissent des légionnaires romains en mode Ier siècle estampillé colonne Trajane-Astérix-unlegionnaireC1legionnaire, le reste est de qualité. En même temps, les costumes de Troie sont tellement loin de toute réalité que la marge reste large. Au cinoche, un costume doit être reconnaissable, point barre.
Le Serapeum, ces colonnades colorées, le Phare, ces ruelles pleines de vie illustrent un véritable travail.
Second atout, ces plans, ces plongées vertigineuses venues du ciel pour découvrir cette bande de désert où Alexandre le Grand eut l’idée de tracer le plan de la plus célèbre des Alexandries ; sacrément bien vu, Alejandro …
Troisième atout, les seconds rôles. Davus, Oreste, Ammonius, Sinesius : autant de personnages bien travaillés, à l’épaisseur intéressante, enterrant par exemple largement le pauvre Pâris de Petersen ...
Quatrième atout, le propos. Oui, les Chrétiens de cette époque sont carrément proches de certains idéologues religieux actuels. Ce n’est pas une critique, mais une évidence ; une religion monothéiste promulguant que seul son dieu existe, doit déboucher sur une intolérance forte. On va me dire, oui mais et les Martyrs ? Et Néron. Oui. Alors je répondrais lisez Murena, déjà, et en en reparle. Mais je m’égare. Je ne suis pas d’accord avec la critique généralisée consistant à dire que ce film fait passer les Chrétiens du IVè pour des pseudos islamistes. Non, ce film décrit des faits, point barre. Il interroge chacun sur la tolérance, sur le fait religieux, sur les autres, leurs croyances. Ce film dispose d’un réel fond ; il n’est pas intellectuel mais fait réfléchir.
Cinquième atout : Le Nom de la Rose. Qu’est-ce que la culture ? Pourquoi faut-il préserver les traces d’une réflexion passée ? Pourquoi faut-il se poser des questions ? Pourquoi le livre, le parchemin, sont sacrés ? Michael Lonsdale vient ici faire le pont entre ces deux œuvres proches ; comme souvent, il est impeccable.
Dernier atout avant de vous laisser. Hypatie. Non, ce n’est pas une égérie du féminisme, connerie racoleuse collée sur l’affiche ; le féminisme antique, c’est aussi pertinent que d’accuser grecs et autres romains d’avoir pratiqué l’esclavage et donc d’être passible du chef d’accusation « crime contre l’humanité powa ». Hypatie et Rachel Weisz, et inversement. Elle est là, dans son mode, dans ses questions. Elle passe à travers les turpitudes de son temps. Elle est sublime.
Agora est un film juste, touchant, fascinant. Il est assez moderne pour nous capter, mais assez proche de la réalité pour nous embarquer dans cette antiquité lointaine. Qu’on n’oublie pas une chose : faire un film « 100% antique » risquerait fort de nous emmerder. Nous aurions bien trop de mal à comprendre ces gens, ces mœurs. Un péplum ne peut donc que se rapprocher, tout en servant notre fantasme bercé par la sic pompeuse d’un Alex North. Agora fait mieux : il tutoie ces temps reculés.
