Revu à l'instant : sous ses faux airs de film d'aventure épique et spectaculaire Aguirre, la Colère de Dieu figure parmi les classiques du Septième Art les plus étranges et paradoxaux qui soient. Dix ans avant de faire passer les bateaux par-dessus les montagnes ( Fitzcarraldo ) et quelques temps avant de faire jouer les sociopathes et marginaux les plus marqués ( L'énigme de Kaspar Hauser, La Ballade de Bruno ) ou de diriger ses acteurs sous hypnose ( Coeur de Verre ) Werner Herzog convoque pour la première fois celui qui fut son camarade de chambrée universitaire et qui deviendra par la suite son acteur-fétiche et son ennemi le plus intime : l'inénarrable Klaus Kinski, comédien réputé difficile aux exigences aussi vindicatives et tyranniques que parfois dévastatrices...
Dans ce film dirigé par celui que Kinski nommait le "réalisateur des nains" bien des choses dénotent et déconcertent, avec en premier lieu une absence de rythme généralisée rendant le visionnage souvent ardu voire parfois ennuyeux. Dès les premières images d'une immense côte montagneuse descendue par des centaines de figurants et accompagnées des nappes new age de Popol Vuh Werner Herzog insuffle à son célèbre métrage une dimension mystique et atypique entièrement fascinante, baignant dans une atmosphère tour à tour mystérieuse et fantomatique. Pourtant l'inégalité d'intérêt ressenti pour le récit pointe rapidement dès la première demi-heure, faute à un scénario quasiment inexistant presque uniquement limité à la quête utopique d'une horde de conquistadors hétéroclites avec en point d'orgue le chaloupeux et terrifiant Lope de Aguirre interprété par Kinski.
Tout semble moins passionnant dans le résultat projeté sous nos yeux que durant un tournage très certainement mémorable voire inoubliable pour l'équipe technique et artistique. Si certaines visions s'avèrent complètement folles et saisissantes ( la descente inaugurale de la montagne des premières minutes, le vaste radeau pris dans les remous du fleuve ou encore les images sidérantes de l'essaim de petits singes jaillissant littéralement des extrémités des planches perdues entre deux eaux à la toute fin du métrage...) bien des images semblent pratiquement survenir de rushes remontés en pilotage automatique par le cinéaste allemand. On sent par conséquent que making of et objet de Cinéma semblent ici fusionner et ne faire qu'un pour un rendu aux allures de film perforé d'un bout à l'autre, traversé d'ellipses et d'à-coups suscitant tour à tour notre imaginaire et notre perplexité.
Bien difficile alors pour nous de ne pas deviner tout le set derrière l'image, cette volonté de mise en scène à la fois ambitieuse et documentaire entièrement représentative du Cinéma de Werner Herzog mais ici parfois presque comme "à côté des choses", comme hors de propos. Nous connaîtrons par ailleurs Klaus Kinski bien plus inspiré par la suite ( Woyzeck et Cobra Verde, principalement ), se contentant ici de promener sa mauvaise aura et son regard malveillant sans parvenir à créer de réels éclats dramatiques. Mais le film demeure suffisamment original et dingue pour être vu, revu et étudié encore et encore. A voir absolument.