Là j'avoues que je me gratte le casque avec circonspection. Une déception, surtout après cette superbe ouverture à flanc de montagne brumeuse, musique sépulcrale en fond sonore, où les hommes semblent à la fois des pionniers décidés et des fourmis perdues dans une entreprise bien trop vaste pour elles.
Le film porte le nom de son personnage principal. On attend donc un Aguirre au charisme monumental. On imagine un fin stratège, un grand orateur, ou un leader dont la présence parle directement pour lui. Il n'est rien de tout ça. Physiquement j'aime assez ses traits creusés et ses yeux exorbités qui lui donnent ce visage mortuaire, mais c'est plus compliqué concernant sa dégaine de pantin désarticulé et sa voix de crécelle. Bien plus emmerdant que son allure, à aucun moment il ne fera preuve d'un génie tactique ou philosophique propre à rassembler. Je ne vois qu'un petit chefaillon ridicule.
A ses côtés, deux personnages émergent un peu. Tout d'abord le moine cupide et cynique ("l'église a toujours été du côté du plus fort"), au prosélytisme morbide. La noble ensuite, altière, tout en force tranquille. Elle offre une belle opposition de style à ce blondin qui est le plus gros dégueulasse que l'Espagne ai jamais porté, et sa disparition solennelle me plaît bien. Dommage que leur parole soit un vrai robinet d'eau tiède, notamment la voix-off du moine qu'on aurait facilement imaginée plus poétique ou exaltée.
Dans l'ensemble, on suit un groupe de gens qui n'ont pas grand chose d'intéressant à se dire. Les gars sont surtout venus surfer sur Amazone pour ajouter plein d'articles à leur panier, certes. Enfin quand même. Ces hommes trahissent leur pays et leurs serments. C'est un acte puissant, sans retour, mais c'est expédié comme si ils décidaient de changer de boulangerie.
Vient le grand thème du film, la folie. Et là Herzog se plante à mon sens sur la façon de la rendre intéressante. L'erreur est simple : Aguirre est hystérique dès le début. Pas de réel crescendo qui le ferait quitter progressivement celui qu'il a été pour en devenir un autre, en perdant son humanité ou ses idéaux. Ce n'est pas un individu complexe tiraillé par des valeurs contraires, c'est juste - de base - un immense connard.
Bref, pas très étonné d'apprendre qu'Herzog a expédié son scénario en 15 jours, et en grande partie lors d'un trajet en bus avec son équipe de foot.
J'ajoute que tout ça manque d'une touche visuelle baroque propre à titiller nos rétines. La caméra à l'épaule donne un bel effet immersif, au coeur de la troupe médusée sur son radeau, mais cette découverte d'un monde nouveau n'est jamais vraiment envoûtante hormis dans la partie andine du début. Pas une fois je n'ai retrouvé cette touche d'atmosphère irréelle lorsque l'expédition s'enfonce dans l'Amazonie, un monde pourtant à part, inconnu alors, qui bouscule nos repères. Je demandais pas Esteban, Zia, Tao et les cités d'or, mais un onirisme visuel aurait été à mon sens parfait pour cristalliser la perte des repères et la montée de la folie. Ici les conditions de tournage très roots ont sûrement obligé Herzog à improviser pas mal, mais ça l'a moins inspiré que maintenu les pieds dans la vase.
Au final j'ai suivi la déchéance de cet équipage d'un oeil de plus en plus détaché, avec la sensation que le film est trop austère pour illustrer au mieux le sujet passionnant qu'il avait entre les mains.
Dix ans plus tard : Herzog, Kinski, l'Amazonie, un fou qui entraîne les autres dans son sillage. Ça s'appelle Fitzcarraldo et c'est un film génial qui raconte un homme complexe à l'aide d'une mise en scène inspirée et inspirante. Comme quoi.