Ailleurs construit et libère un véritable élan, dont la beauté réside dans le fait qu’il éclot sous les yeux du spectateur. Parcourue d’impulsions, l’œuvre de Gints Zilbalodis est un perpétuel mouvement vers l’avant, une fuite face à cette obscure créature marchant inlassablement derrière le héros. La quête mystérieuse de ce protagoniste sans identité au cœur d’une île énigmatique allie à la fois une simplicité, proche de l’essence, et une complexité, reposant sur les multiples grilles de lecture qui viennent remplir les silences du long-métrage. Avec uniquement cette trajectoire comme fil rouge, le scénario resserré d’Ailleurs se rapproche de l’univers des jeux vidéo en construisant un espace d’action limitée focalisé autour de paliers successifs à dépasser – accentué par le chapitrage de l’œuvre. Cependant, loin d’être hermétique, cette expédition n’est jamais loin de perdre son propre but et de laisser poindre une errance spirituelle sous-jacente.
Une enveloppe métaphysique qui germe dans l’épuration esthétique choisie par Gints Zilbalodis. L’étonnante limpidité d’Ailleurs repose sur une animation 3D en aplats de couleurs permettant, malgré quelques raideurs dans les mouvements, de laisser émerger une poésie primaire qui réagit directement avec le spectateur. Poème visuel, l’œuvre du cinéaste letton renoue avec les codes du conte en laissant surgir des adjuvants qui accompagnent le protagoniste dans son appréhension de ce monde inconnu ou dédoublent, par le prisme de l’allégorie, la quête de ce jeune homme à l’instar de l’apprentissage libertaire de cet oiseau jaune qui l’accompagne. De ces deux caractéristiques (l’épure et le conte), Ailleurs extrait une atmosphère contemplative et méditative qui répand une harmonie presque primitive entre la nature et les êtres vivants dont l’apogée serait ces chats attendant, dans un lieu où la civilisation humaine aurait périclité, le jaillissement systématique d’un geyser.
Déterminé par une certaine providence comme cette moto qui transporte le protagoniste à travers les différents univers de l’œuvre, Ailleurs est une quête vers la lumière – qu’il s’agisse de cette lueur qui maintient sans relâche le regard du héros vers l’horizon ou celle intérieure qui permet de ne pas succomber à la noirceur de cet amas de peur qui le pourchasse. Cette lumière protéiforme, Gints Zilbalodis la saisit à l’aide d’une caméra virevoltante créant, par la multiplication des points de vue, une impression d’omniscience amplifiant l’aspect providentiel de l’œuvre. La lumière, comme chez Terrence Malick vers qui Ailleurs semble lorgner, est à la fois constituante du récit (dans ce combat manichéen entre ténèbres et vie) et de l’univers créé par le cinéaste (sublimant la puissance maternelle et nourricière de la nature).
En choisissant volontairement de privilégier le non-dit autour de ce récit initiatique, le cinéaste travaille l’ambiguïté des maux qui assaillent le protagoniste et offre une réflexion malléable sur la solitude – envisagée à la fois comme un état et un dépassement. De l’illustration d’un syndrome du survivant à la fuite de ses propres démons dans un paysage mental métaphorique, Ailleurs puise dans l’espace personnel de son spectateur afin d’enrichir les propres potentialités de son récit.