Air marque le retour, forcément prometteur, du duo Affleck–Damon, qui succombent à leur tour aux sirènes des plateformes puisque c’est la maison Amazon qui produit et que le film est mis en ligne sur Prime (… même s’il est sorti dans les salles aux USA !). Même si Ben Affleck est indiscutablement un acteur limité, son travail de scénariste, avec ou sans son pote Matt Damon, a été régulièrement passionnant, depuis la révélation de Will Hunting en 1997. Et bien qu’il soit courant de la part de la critique française de sous-estimer son travail de réalisateur, Affleck a aussi prouvé avec des réussites comme Argo ou Gone Baby Gone qu’il savait construire des atmosphères, de la tension, et surtout diriger impeccablement ses acteurs : or la distribution de Air est excitante, et fait en effet des merveilles : Matt Damon, bien empâté mais magistral comme toujours dans son équilibre entre intensité et décontraction, Jason Bateman, Chris Messina, Viola Davis, Chris Tucker, et le formidable Matthew Maher (révélé par son rôle hilarant dans Hello Tomorrow !)… du bien beau linge, qui ne déçoit pas une seconde !
Le problème d’Air, et il est de taille, c’est… son sujet ! L’un des plus improbables qui soit, ridiculement décalé par rapport aux préoccupations, ou plus sérieusement, aux valeurs de 2023 : Affleck et Damon nous racontent la manière dont l’équipe de Marketing de Nike, alors un challenger sur le marché (on est en 1984), a ravi au nez et à la barbe des géants de la chaussure de sport qu’étaient Adidas et Converse le contrat avec Michael Jordan, qui n’était encore qu’un espoir du basket. Film de boomers sur le Marketing hystérique et décomplexé du XXe siècle, Air glorifie la performance de mâles blancs sans aucune morale – les chaussures Nike fabriquées en Asie – nourrissant avec enthousiasme le monstre du capitalisme le plus inhumain. Plus grave du point de vue cinématographique, Air ne bénéficie même pas d’un quelconque suspense, puisque l’on sait tous que Jordan va devenir la principale image, et le plus gros succès de Nike avec les fameuses chaussures Air Jordan.
Et pourtant, et c’est sans doute là que le film nous intéresse, il s’avère une (petite) réussite, grâce à l’énergie qu’il dégage – tout au moins une fois passée une introduction un peu fade – et par la pure magie du jeu de ses acteurs. Si l’on y ajoute le soin de la reconstitution des années 80, magnifiée par une bande son impeccable, il est difficile de ne pas se laisser embarquer ! Le fan de rock, après l’inquiétant - mais pertinent - marqueur de l'époque que constitue Money for Nothing de Dire Straits – bel emblème du cynisme capitaliste de l’époque -, se réjouira de pouvoir écouter, entre autres, deux chansons des géniaux Violent Femmes, un tube magique de Squeeze et bien d’autres excellentes chansons.
Mais c’est sans doute la référence au Born in the USA de Springsteen, dûment explicitée par l’un des personnages du film qui souligne l’ambiguïté d’une chanson enthousiasmante pointant pourtant l’ingratitude du rêve américain, qui relativise le mieux le sujet du film. Oui, en 1984, nous étions des monstres, mais nous jouissions sans nul doute de notre ignorance des conséquences de notre comportement. On se dit alors qu’Air aurait pu être un bon film si Affleck et Damon avaient eu l’idée de le boucler sur une note plus clairement douce-amère : les jours du Marketing tout-puissant, comme ceux de notre innocence, étaient déjà comptés.
[Critique écrite en 2023]
https://www.benzinemag.net/2023/05/14/prime-video-air-de-ben-affleck-lepoque-du-marketing-tout-puissant/