Al-Hurriya
Al-Hurriya

Court-métrage de Loup Blaster (2016)

Premier court-métrage de l’artiste calaisienne Loup Blaster, Al Hurriya fait partie de l’anthologie Strangers, collection autour de l’étranger, pour le collectif Late Night Work Club, dont le credo est l’animation fauchée : pas de production mais des idées et du talent. Calaisienne de naissance, la jeune artiste est depuis toujours confrontée à l’arrivée de réfugiés du monde entier venus tenter leur chance pour l’Angleterre ici, sur le port de Calais, carrefour d’un trafic maritime, ferroviaire et routier de touristes, de travailleurs et de marchandises. Contactée par le collectif pour ce projet, l’idée d’Al Hurriya s’est imposée comme une évidence.


Al Hurriya développe, avec une intelligente économie de dialogue,



différentes impressions sur la question migratoire et ses conséquences là,



visibles et tangibles à Calais, au cœur du quotidien de ces réfugiés autant que de celui des habitants. Le scénario sur un fil émotionnel se dessine en poésie retenue, avec une forme de recul un peu naïf revendiqué qui sert la puissance évocatrice du travail de Loup Blaster. Le spectateur, jamais pris à parti et que l’artiste ne cherche jamais à interpeler par la violence, ne peut que s’interroger, après vision, sur



les impératifs de l’exil et sur l’inévitable solitude



qui meuvent ces migrants du bout du monde, tout autant que sur l’absence de différence des hommes, sinon celle de l’origine, qui pourtant engendre une inégalité face au voyage : qu’est-ce qui fait que nous, occidentaux armés d’un passeport, pouvons nous déplacer où bon nous semble sur le globe quand ces exilés sans papier doivent se cacher pour ne pas subir les lois ségrégationnistes de l’Europe qui, immanquablement, les renverraient à leur dangereux point de départ ? Quelle est la raison valable qui les empêche de rêver quand nous nous noyons sous l’inepte opulence ?


L’animation est riche.
Mélange de crayonnés, de couleurs vives et de pastels gras,



les ambiances vivent, le dessin bruisse sous le vent du détroit



et les courtes séquences s’approfondissent de couleurs en musiques d’espoirs et d’amour. Pour ceux qui suivent le travail de Loup Blaster, sa patte est là, reconnaissable entre mille, et ces faux airs naïfs qui s’animent sur la toile viennent renforcer autant le recul que le questionnement. Tout en douceur.


Jamais outrancier ni choquant, loin du pathos, au contraire :



emplit de poésie légère et heureuse,



Al Hurriya, en s’inspirant librement du cheminement intérieur de l’artiste, en jouant de l’évocation sensible plus que du récit, rapproche le spectateur de ces exilés en transit un temps dans les camps et les squats calaisiens pour l’amener à s’identifier à eux dans le quotidien : rêves et espoirs, musique, sourires et amitiés. Il y a toute l’humanité de ceux qui s’épaulent pour avancer dans les quelques minutes que l’œuvre nous berce. Avec un point de vue qui ne ressemble qu’à elle, Loup Blaster signe avec Al Hurriya un court-métrage d’animation d’une puissance rare, apte à rapprocher les hommes de tous horizons sans distinction d’âge. Un film à diffuser largement auprès des plus jeunes et des plus renfermés pour les questionner sans véhémence sur leur ouverture à l’autre autant que sur



l’ineptie des frontières



qui, loin de protéger, enferment les peuples.


Al Hurriya touche au cœur parce qu’il dessine les sentiments plus qu’il ne les dit.
Sans grand discours, mais sur



le fil sincère de l’émotion.


Matthieu_Marsan-Bach
8

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Créée

le 27 mars 2017

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