La carrière de Guy Ritchie a pris, depuis qu'il s'est enfermé dans le style "cool" de ses Sherlock Holmes, la tournure d'un évènement indésirable en affirmant, par une déchéance artistique progressive, la douloureuse mais profitable réputation de Yes Man à la solde des studios les plus offrants. Cela n'a pu être permis que par le médiocre Roi Arthur, qu'il réalisa pour la Warner Bros, et qui ne contenait qu'une dizaine de minutes, tout au plus, de son style de mise en scène/montage/narration si clairement identifiable. On était bien loin de Man from U.N.C.L.E, qui renouait avec le talent de ses débuts et proposait un superbe hommage au cinéma des années 60.


Puis vint Disney et ses liasses de Mickey auréolées d'oreilles de souris : il fallait bien que la boîte de production entre dans la course et lui propose de rendosser le costume de Yes Man pour remettre au goût du jour un autre de leurs récits légendaires (entre Le Roi Lion et autres Dumbo). Ainsi, Aladdin participe à la conclusion d'une fin de décennie pauvre en originalité pour son auteur, et parallèlement pour le cinéma de divertissement américain en général.


De Guy Ritchie, il ne reste presque rien : pas un brin de narration éclatée, de personnages rendus comiques par leur débilité, pas même l'audace visuelle du numérique de la duologie Sherlock Holmes. Rien d'autre que quelques plans audacieux, un sens particulier du dynamisme et du mouvement; encore faut-il les chercher entre la banalité du reste de sa mise en scène. Sa personnalité, passée à la moulinette des grands studios, disparaît donc sous les plans étalant son fort budget, entre travelings stables de séquences de voltiges à la Yamakasi et cadres entièrement composés à l'ordinateur (façon Le Hobbit : la désolation de Smaug et sa montagne d'or en images de synthèse brillantes).


Dur pour l'amateur de son style de se faire à l'idée qu'il n'y suivra qu'un divertissement Disney de plus, entièrement privé de toute identité et de toute prise de risque : Ritchie, qui a vendu son âme à la souris la plus en vogue du monde, s'efface de ce qui n'a jamais été son oeuvre et livre, sans y mettre du sien, un divertissement formaté impossible à reconnaître parmi les autres, un produit d'exploitation bien lancé dans la mouvance du temps pour plaire à tous les publics jeunes.


Un peu, finalement, comme Hook ou la Revanche du capitaine Crochet dont il s'inspire pour construire sa recette à succès, et qu'on pourrait résumer de cette façon : l'anachronisme comme moyen de contourner les attendus de public, et qui conduira, par la surprise occasionnée, aux rires voulus. L'attitude Gangsta de Will Smith, le rap années 2010 de ses scènes de comédie musicale, et le langage jeun's du duo Aladdin-Génie font écho aux battle de clash, à la pratique du skate et du basket du film culte de Steven Spielberg.


Tout cela dans le but de moderniser un mythe qui n'en avait pas forcément besoin, histoire de plaire à un public le plus large possible : le dessin-animé, pourtant intemporel, s'en trouverait en suivant cette logique irrémédiablement amélioré par la mise à jour de son humour. C'est tout le contraire qui se produit, cette adaptation perdant, par la surexploitation de ses effets numériques envahissants et de son action démesurée, le charme et la fraîcheur de l'original.


La pratique, typique des remakes qui ne sont pas sûrs de leur potentiel, n'a pratiquement jamais porté ses fruits; il est d'ailleurs plus facile de se remémorer les ratés du genre que ses réussites. Ratés auxquels appartient Aladdin, qui se contente de jouer de cet humour générationnel sans touche caractéristique, sans rien apporter de frais à ce qu'on pourrait qualifier d'humour Disney nouvelle génération.


Mais cela crée, curieusement, une dynamique fonctionnelle entre Aladdin et le Génie, malgré l'égocentrisme de Will Smith et la surexposition des images aux couleurs criardes, ses dialogues sans relief et la mise en scène de celui qui fut un temps envisagé comme l'un des cinéastes les plus prometteurs de sa génération. Le spectre du dessin-animé rôdant constamment autour de ce remake banal, ce sont possiblement les souvenirs de l'enfance qui le rendent acceptable, parfois même sympathique à voir (n'ayons pas peur des mots, attachant aussi).


La sympathie adressée à son réalisateur peut elle aussi participer à la notation gentillette de cet Aladdin numérisé. S'il n'a de Guy Rutchie que le nom sur l'affiche, pas même une parcelle de son identité, Aladdin, qui ne se prive pourtant pas de dénaturer la personnalité du metteur en scène, prouve cependant que Ritchie joue les Yes Man avec un certain talent, avec une qualité d'exécution des ordres à toute épreuve : sa mise en scène vous réservera de jolis moments d'émotion et de pur spectaculaire, d'action décomplexée et d'humour anglais inattendu.


S'il fallait se frapper Aladdin pour avoir droit au grand retour de son style avec The Gentlemen, force est d'avouer que c'était un bien léger tribu à payer.

FloBerne

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