L'Arcadia de ma vieillesse...
Il vient un moment où il faut se décider, faire un choix, et en accepter les conséquences...
En 1969, Leiji Matsumoto a créé le personnage de Herlock (aussi connu sous le nom de Harlock, où en France, sous le nom d'Albator), qui avec le temps est devenu 'culte' pour beaucoup de monde.
En France, Albator fait parti des toutes permières séries animées japonaises, avec "Goldorak" et "Candy", à être diffusées à la télévision. Ces trois séries possèdent un status particulier dans l'hexagone, ce sont des précurseurs, elles ont ouvert la voie à la japanimation et beaucoup de trentenaires actuels vous parleront surement avec nostalgie de "l'age d'or" et du "Club Dorothée"...
La sortie d'un film "Albator", au cinéma, avec les technologie actuelles, ça allait forcément diviser... Certains se prendront pour des puristes en criant ô scandale, d'autres ne se contenteront que des "images qui claquent", du "Capitaine over trop badass" ou de la "3D qui déchire", on trouvera bien entendu quelques haters qui se contenteront de pointer du doigts les faiblesses évidentes, et des lovers sans amour propres qui vous décriront ce film comme étant la révolution SF annoncée par James Cameron...
Alors non, ça n'est pas parfait, oui, c'est plein de défauts, non, ce film n'est pas mauvais, oui, on est loin d'une révolution, non, ça n'est pas une insulte aux mangas et séries d'origines, oui, c'est différent de ce qu'on aurait pu en attendre...
Coté réalisation, on pouvait s'imaginer que Shinji Aramaki ne pourrait pas porter un tel projet. Son experience de réalisateur n'étant pas énorme (de mémoire, deux ou trois OAV dans les 80's/90's, deux films "Appleseed" et un troisieme en route, un court "The Package" pour l'omnibus "Halo Legends" et "Starship Troopers: Invasion") et ses produits n'étant pas d'une qualité irréprochable (voire parfois assez médiocre), s'attaquer à un 'monstre' comme Herlock avait de quoi inquieter un peu... Pourtant ça n'est pas si mal... Même si on trouvera quelques longueurs et baisses de rythme, le film est assez bien fait dans sa globalité et se tient sans trop de mal pour proposer un divertissement de qualité.
Les images, quoiqu'en dise James Cameron, sont belles, mais en rien "révolutionnaires"... Si la qualité est inégale tout au long du film, l'animation est tout de même très correcte, souvent au dessus du lot, mais ce manque de constance dans la finition, les textures, les décors et les effets ne permettent en rien de saluer une quelconque prouesse technique... "Tron" était une révolution; "Jurassik Park" était une révolution; "Final Fantasy: The Spirits Within" était une révolution... "Space Pirate Captain Harlock" n'innove en rien, il ne fait que suivre un mouvement déjà bien présent, un mouvement que beaucoup iront comparer au monde du jeu vidéo où tout les jours de nouvelles avancées sont faites et dont les résultats surpassent certainement les rendus obtenus sur ce film...
La bande son, quant à elle, est généralement du plus bel effet. Soulignant correctement les images où les émotions ciblées, accompagnant les batailles comme il se doit, et aidant sans soucis l'immersion dans le métrage.
Le doublage est aussi très bon... Enfin, il l'est en Version Originale... J'ai eu l'occasion de comparer les deux versions et, même si c'est déjà évident pour beaucoup, la Version Française est véritablement atroce... Que ce soit dans le choix des voix, des tonalités, des émotions ou de la traduction, il n'y a rien de bon à tirer de la VF...
Si jusque là, tout est "moyen" ou "bon" (sauf la VF), alors pourquoi tant de critiques négative à propos de ce film? Simplement à cause des seules choses qui me restent à aborder : l'histoire et le scénario...
Le scénario est facile, simpliste au possible, presque convenu et il aurait pu rester très classique si il n'avait pas tenu à semer ici et là une tonne de détails destiné à alourdir son contenu, au risque de perdre le spectateur. Ces détails embrument totalement la dramaturgie et on passe sans cesse de scènes presque shakespeariennes à des scènes dignes d'une série B de DTV (Direct To Video)... C'est là le plus gros point négatif du film.
Afin de coller avec une exploitation mondiale, le film se veut faussement 'branché' et 'intello', on use de ficelles aussi grossières que du cache-cache à grand renfort d'hologrammes, on explique tout à grand renfort de 'matière noire', le héro est agaçant et change d'avis comme de chemise (attention, il est bon de préciser que le héro n'est pas le Capitaine Harlock... Bien que le film porte son nom, quand le métrage se termine on à presque l'impression de ne l'avoir pas vu...), les méchants sont idiots comme ça n'est pas permis mais nous sortent une nouvelle 'arme ultime' des que la précédente 'arme ultime' à échoué, certaines séquences semblent directement adaptées de "Pirates of the Caribbean", surtout pendant les batailles, afin de vraiment donner un aspect 'navire' et 'pirates', rendant les scènes aussi prenantes que navrantes, etc...
Je vous épargnerai évidemment le cliché universel que constitue la fin, cliché qu'il est presque impossible de ne pas voir venir tellement la démarche est grossière... (j'aurais tout de meme preferé que l'utilisation de ce cliché me rappelle "Les Maîtres du Temps" plutot que "The Princess Bride")
Cette démarche grossière nous amène au point crucial, le point qui fait rager les puristes, le point qui font hurler les 'fans' : l'histoire.
Dans ce film, l'histoire ne correspond à rien de ce que l'on connait de l'univers créé par Leiji Matsumoto, et c'est apparemment cela qui aurait déplu à la majorité des 'fans' et des 'puristes'...
Herlock n'a jamais été un être 'mythique' rendu presque immortel par la 'matière noire' et n'a jamais failli détruire la Terre avec cette même 'matiere noire'... L'Arcadia n'est pas née d'une fusion entre un vaisseau de classe Death Shadow et de 'matière noire', et ne se répare pas toute seule... La 'Coalition de Gaia' n'a jamais existé... etc...
Bien des détails qui ont fait s'arracher les cheveux de certains si on en croit leurs critiques.
Pourtant, le canon officiel créé par son auteur à toujours été modifié et renouvelé sans que ça pose trop de problèmes, du moins avant ce film...
Si on prend la saga afin de tenter d'établir une chronologie, on trouve vite un grand nombre d'incohérences. Tochirô meurt à différents moments et de manières différentes selon la série... La rencontre, les origines et le rôle de Miimé changent selon la série... Le personnage de Tadashi est le plus révélateur de ses incohérences, il est présent dans beaucoup de séries mais change à chaque fois : dans '78' Tadashi Daiba voit son pere tué par les Sylvidres et rejoint Harlock pour fuir la Terre; dans '84' Tadashi Monono est recueilli par Harlock au cours d'un voyage; dans 'Harlock Saga : Nibelung no yubiwa' le père de Tadashi Daiba connaissait Harlock et Maetel ce qui le pousse à les rejoindre; dans 'Endless Odyssey' les Noo tuent le père de Tadashi Daiba mais ce dernier pense que Harlock est le responsable, il s'engage donc à ses coté pour se venger.
Et ce ne sont là que les différences notables dans les séries animées et les OAV... On trouve encore bien d'autres différences entre les mangas originaux et les adaptations animées...
Tout 'puriste' du travail de Matsumoto ou tout 'fans' complet de la saga 'Harlock' doivent pourtant savoir que l'auteur à déjà expliqué maintes et maintes fois ses incohérences : Toki no Wa
Le concept de Toki no Wa est, grossierement, celui d'une boucle temporelle. L'axe du temps n'étant plus une ligne droite (ou des lignes parallèles en cas de réalité alternative) mais une sorte de boucle infinie, les actes peuvent alors se répéter de façon différentes. Ainsi les contraintes chronologiques disparaissent et l'univers peut être réinventé autant de fois que Leiji Matsumoto le souhaiterait...
Ce film n'est, au final, qu'une version de plus... Donc qu'on n'ait pas aimé cette 'version', soit, mais que l'on crie partout que ce film est mauvais simplement parce qu'il n'est pas une "adaptation fidèle", c'est montrer qu'en fait on connait mal son sujet...
Herlock est toujours capitaine de l'Arcadia... Miimé, Kei et Yattaran sont à ses cotés... Tochirô est toujours dans l'ordinateur du vaisseau... Yama remplace assez facilement Tadashi dans le rôle du 'jeune garçon pris sous son aile par le capitaine'... Apparemment pour Matsumoto, c'était le principal... (Ah non, il y a eu un litige sur la fin du film d'où un final relativement ambigu).
Je concède volontiers que l'histoire n'est pas terrible, que beaucoup d'événements sont capilotractés, que vouloir se la jouer 'hipster de la SF façon Hollywood' n'était pas une bonne idée et que le scénario aurait pu être largement meilleur avec le materiel de base qu'ils avaient, mais je refuse de faire la critique d'une "adaptation" au sens strict quand je sais que le film tient plus de la 'relecture' (ou meme du 'reboot'). Après tout, c'est dans l'air du temps de revisiter nos figures héroiques populaire, et le résultat n'est pas toujours probant... Nolan à revisité 'Batman' avec un certain brio; Snyder a revisité (et massacré) la mythologie de 'Superman' sans que ça ne dérange trop de monde, donc je ne vois pas d'objection à ce que Matsumoto ait autorisé cette relecture de son oeuvre phare.
En définitive, "Albator, Corsaire de l'Espace" reste un film très correct (en VO et en version longue du moins). Certes un peu facile, décevant sur certains points, mais il reste tout de meme un sympathique divertissement, et permet au Capitaine Herlock de retrouver un second souffle... Bien qu'éloigné du materiel original sur beaucoup de points, il donnera peut etre aux ados d'aujourd'hui l'envie de découvrir ce fabuleux pirate qui a bercé mon enfance, ou aux plus vieux l'envie de se replonger dans leur souvenirs en revisionnant les vieilles séries, et ça c'est vraiment positif. Alors que "Space Battleship Yamato" n'avait pas su saisir la moelle du manga original et ne rendait a l'ecran qu'un banal 'space opera' de plus, "Albator, Corsaire de l'Espace" prend de gros risques en revisitant completement l'histoire et le mythe autour de la saga, chose qui finalement est à double tranchant car si il a su combler les néophytes, les fans de la permiere heure n'ont pas tous compris la démarche et ont tendance à bouder le film.
Fort d'une bonne dynamique, d'une réalisation efficace et d'images de qualité, ce métrage reste un divertissement tout à fait plaisant. Peut être pas l'adaptation qu'on aurait souhaité, loin s'en faut, mais tout de meme, ce Capitaine, quelle classe...