Le personnage du médecin de brousse joué par Peter Finch est inspiré du Dr Gordon Seagrave, un américain d’une famille de missionnaires depuis 3 générations (qui se succèdent depuis les années 1830) qui fut condamné par le gouvernement de Birmanie vers 1950 pour avoir soigné des populations Karen liées aux guérillas anticolonialistes (l’accord de celle-ci avec le gouvernement ne fut établi qu’en 2013), ce qui ne l’empêcha pas de rester sur place pour continuer son exercice contre vents et marées.
Transposée d’abord dans un roman, Windom’s Way, lequel est ici mis à l’écran, « la voie du Dr Windom » valorise donc le choix éthique et politique de ce medecin opposé aux options affairistes et coloniales.
Le héros transposé de la réalité au livre puis au film est devenu anglais, laïc, marié à une femme de la haute société, jouée par Mary Ure (à la coiffure blonde inoubliable), laquelle finit par accepter et soutenir activement l’activité généreuse de son mari et ses risques.
Cette valorisation de la révolte locale n’est pas si courante dans les films anglais des années 50 centrés plutôt sur des péripéties exotiques et des coups de main militaires dans ce même Commonwealth, des films dont le discours politique est souvent colonial.
Ce film d’aventures est étonnamment explicite et juste sur l’exploitation par les colons de la main d’œuvre locale mais aussi - vision moderne - sur la spoliation écologique et culturelle des villageois empêchés de cultiver le riz afin de les convertir en récolteurs de caoutchouc.
Leur culture séculaire du riz leur reviendrait moins cher et serait bien plus équilibrante moralement et psychiquement que l’achat de riz importé, soutiennent les habitants, et cela contribue à leur révolte, présentée avec beaucoup de sympathie.
Le film est juste aussi par les personnages qui figurent les liens entre les colons, le gouvernement local et l’armée, et - encore plus interessant - ceux qui incarnent les variétés et les figures sociales et psychologiques du compromis, des "entre-deux", des médiations. Celles-ci s’avèrent impossibles, dysfonctionnelles : elles sont tentées certes par les leaders pacifistes locaux, les sages traditionnels, les maires de villages, ou encore le "bon docteur" lui-même mais elles échouent.
Les concessions à l’idéologie "hollywoodienne" - en fait ici les studios de Pinewood près de Londres - sont d'abord celles que nous aimons : l’Eastmancolor qui est somptueux ; le traitement plutôt subtil des rivalités féminines entre une infirmiere indigène et l'épouse ; l’intrigue sous-jacente standard et réussie d'un film d’aventures (des péripéties anxiogènes et des rebondissements) dans des décors exotiques. Les concessions sont aussi "politiques" : par exemple, la vilenie d'utiliser la force armée contre les villages par les anglais aurait son équivalent, sa symétrie, dans la brutalité de la guérilla « extrémiste » liée aux communistes, avec son lot d’innocents qui en payent le prix, ce qui renvoie dos à dos coloniaux et révoltés, en contradiction avec le propos d'ensemble.
Au bout du compte, on apprécie la conclusion politique plutôt moderne de ce film - que ne désavouerait sans doute pas aujourd'hui "Medecins Sans Frontières".
Des blancs chaleureux et engagés auprès de ces populations asiatiques ne peuvent pas vraiment comprendre les enjeux défendus par les groupes d'habitants locaux adverses. Au mieux, ils ne peuvent aller au delà de l’humanitaire qu’ils sont désireux et capables d’apporter, ce que finalement le medecin et son épouse comprennent et acceptent.
(Vu en 2020. Note éditée en Oct. 2024).