Les nouveaux horizons pour Pixar sont devenus plus incertains depuis la crise sanitaire, certains résultats en termes d’exploitation des films que ça soit chez Disney ou ici, l’arrivée de Disney+ et autre fait d’actualité dont il serait trop long et peu approprié d’en faire le récit alors qu’on est avant tout là pour donner une opinion éclairée et concise sur une œuvre. Après Enrico Casarosa proposant son premier long-métrage Pixar avec le séjour estival dans la ville portuaire de PortoRosso via Luca en 2021, c’est à Domee Shi de passer du court-métrage au grand écran (du moins c’est ce qui était prévu avant d’être condamné à la plateforme pour décision marketing détestable) et de faire étalage de sa culture asiatique dans ce récit du passage de la petite enfance à l’adolescence en y apportant des influences précises.


Sauf qu’à l’inverse d’une ouverture plus pépouze chez Luca montrant un quotidien de campagnard des océans, la réalisatrice se montre plus frontal et direct dans la caractérisation de la nouvelle héroïne du studio et du ton ambiant tranchant avec la réflexion humaine et intimiste d’un Soul ou une histoire d’acceptation des différences : Meiling Lee, jeune adolescente menant une vie double entre responsabilités familiales et ses passions de jeunesse difficile à assumer vis-à-vis des traditions familiales. Et surtout quelqu’un chez qui la malédiction des Sôma (comprendra celle/celui qui a la référence) a fait un petit tour visiblement.


La première chose que l’on remarque c’est à quel point les artistes réussissent à rendre les 2 environnements principaux de Mei très distinct et à construire son caractère en mettant la forme au service du fond. Entre la culture chinoise traditionnel du temple et ses couleurs plus humbles, ses habitudes axés sur la sérénité et le contrôle de soi et l’honneur familial, tandis que de l’autre avec ses penchants de mode actuel et partagés avec un groupe d’amie de longue date, ou pourtant l’ombre de sa mère et de ses devoirs continue de planer et peut-être interprété comme une des sources de sa transformation en panda roux géant et du sens profond de la couleur central du film.


En plus d’être une métaphore aux premières règles chez une fille (le rouge pouvant être associés au courage, à la vie, au feu dans ses symboliques au cinéma et ici en l’occurrence elle est associée au sang, à la colère issue d’un désir de rébellion naissant chez Mei Mei), Alerte Rouge n’a pas peur d’être directe et d’évoquer de manière à peine voilé la question dés la première métamorphose de Mei Mei, chose assez exceptionnel pour un film d’animation grand public.


Mais Domee Shi n’est pas toujours très adroite sur ce point là et sur le rapport à double tranchant entre Mei et sa mère, surtout avec le traitement de Ming durant le premier tiers qui a tout de la caricature de la mère surprotectrice à tel point qu’elle en devient dérangeante lors de la première scène déjà dévoilé en partie dans le premier teaser et qui sert pourtant de catalyseur (quelle mère va apporter des papiers hygiéniques pour les règles devant toute une classe de collégien ? Encore plus quand on sait que le collège est le pays des ragots et des moqueries et aussi l’endroit le plus pesant quand t’es détaché de la masse pour une raison ou une autre ?). Alors qu’à l’inverse bien qu’il reste très en retrait et discret, Jin a des moments sincères et un avis sur la situation qui fait mouche mais n’est que trop rarement abordés en raison de la dominante féminine au sein de la fratrie.


De même pour le trio d’amie de Mei Mei qui, si elles semblent montrer comme étant superficiel au premier abord (entre les tamagotchi et leur côté fangirl de boys band qui a tout pour être un piège facile sur le papier… après on va pas juger, on est nombreux à avoir eu notre groupe fétiche ou des goûts un peu nul niveau pop culture), prouvent très vite leur attachement envers Mei Mei dans les moments les plus difficiles. On le sent quand elles échangent et partagent leur reprise de Nobody Like U de leur groupe fétiche pour réconforter une Mei Mei en mode panda roux, on le sent quand Miriam défend la dignité de Mei après un scandale provoqué par sa mère, on y croit par la familiarité affichée par Abby et Prya au premier contact avec une Mei Mei en forme animale, c’est sans mal le rapport le plus solide et attachant à voir évoluer


durant la période de possession de Mei.


Ce qui l’est tout autant, c’est comment est montrée le caractère évolutif de Mei Mei pendant ce deuxième et derniers tiers avec l’avènement de l’esprit du panda la possédant. Quand ses peurs ou son désintérêt deviennent source de confiance et même de plaisir (celle d’observer les garçons qui l’intéressent, de rêver des idylles ou même de dire tout haut ce qu’elle ne peut dire face à sa mère), ainsi que d’affranchissement et d’épanouissement après s’être efforcée à son dogme initial "honore ta famille" sans pour autant renier cette valeur : parallèlement à cela, l’autre véritable défi pour Mei est de trouver un équilibre entre ses obligations familiales et surtout ses désirs personnels ainsi que son besoin de mûrir.


Passé la scène d’embarras à l’école


(celle chez le marchand de quartier est à peu près acceptable même si cet aspect frontal joue pas en sa faveur)


, la surprotection de Ming trouve un sens dans ses excès allant jusqu’à se complaire dans son propre idéal dans le cadre familial. En montrant à quel point le secret de famille est aussi strict et surtout considéré avec autant de sérieux que d’erreur (la manifestation du panda roux étant symbole de changement mais d’évolution pour Mei alors qu’elle est simplement vue comme un désagrément chez les autres femmes de la famille), limite toxique quand cela vire à l’isolement social et au détachement des autres même en partant de bons sentiments


(la chambre de Mei dépouillée de tout lors de sa période de conditionnement comme si elle suivait une cure forcée).


Cette volonté de confronter la mère à ses travers tout en acceptant la voie choisie par son enfant avait déjà été effectué dans Rebelle en 2012, de manière plutôt honorable malgré l’inégalité du film tandis qu’ici l’ensemble a été nettement mieux construit et que l’identité graphique comme de fond se ressent bien plus chez Domee Shi pour construire une passerelle sur des rapports plus sincères et plus saines que ce qui servait de fondement aux débuts du film.


Par ailleurs, elle assume pleinement ses influences culturelles issues de la pop culture japonaise, notamment du côté de l’animation japonaise sur le grand comme le petit écran et s’amuse plus d’une fois à travers l’hyper expressivité de ses personnages (des dollars ou des cœurs à la place des pupilles, une voix intérieure qui parle fort, un visage à forte émotion uniquement éclairé dans un plan avec le reste du décor dans la pénombre ou un habillage de fond pour exprimer une émotion ou une attirance). Sans oublier les influences tantôt plus évidentes du côté des œuvres (Mon Voisin Totoro avec le côté pelucheux de Mei Mei en Panda roux géant) que ceux qui sont moins médiatisés que les plus gros titres (Fruits Basket m'est de suite venu en tête, l’écran de fumée à chaque transformation de Mei Mei y fait inévitablement penser pour quiconque ayant vu la première ou la deuxième adaptation en animé sans oublier la métaphore autour de la transformation animale et les thématiques sociaux qui découlent de cela, ou encore les mangas Shonens Nekketsu et l’hyperexpressivité des émotions dans les scènes comiques comme One Piece, Demon Slayer, My Hero Academia ou encore Dragon Ball pour citer que cela).


Ces choix esthétiques au niveau de l’animation se retrouvent dans la rondeur des formes et surtout dans le détail de l’image (la bouffe a l’air tellement appétissante quand on voit Jin la cuisiner avec ces ralentis en mode strip-tease de nourriture, les larmes ont aussi un trait particulièrement appuyé que ça soit pour la comédie ou l’émotion), le jeu d’éclairage très minutieux qu’on reconnait à la boîte, le design des personnages surtout la bande d’amie de Mei très caractéristique et définie (à la limite de l’archétype dans le cas de Prya et Abby) sans pour autant les empêcher d’exister en tant qu’individu. Pixar prouve une fois de plus que la beauté graphique n’est pas qu’une affaire de belles images, mais également de détail quand l’un des réalisateurs veut faire passer un univers qui lui correspond.


Mais ça reste dommage que la musique ne soit pas aussi extatique et enthousiasmante que le reste, et que j’accroche moyen à Nobody Like U écrit spécialement pour le film et qui sert pourtant d’étendard à Mei et ses amies. Ludwig Goransson n’a pas vraiment eu l’occasion de faire ses preuves par le passé en dehors du petit écran, l’occasion était là avec un film d’animation mais au bout du compte ça fait sa part du taf sans qu’on en retienne grand-chose après visionnage.


Exportation sur la plateforme Disney+ décidé à l’insu de Pixar oblige (et surtout après le succès d’Encanto une fois sur la plateforme), le dernier né du studio bénéficie du même traitement honorable que Luca au niveau du doublage français en n’invitant aucun star talent et en comptant sur les comédiens spécialisés dans le doublage pour faire vivre tout ce beau monde. Jaynelia Coadou est très juste et réussit à ne jamais céder à l’excès ou au sous-jeu pour incarner Meiling Lee par la voix, et l’ensemble du casting composé pour beaucoup de noms moins reconnus dans le doublage (à l’exception de Yumi Fujimori alias Nakoma dans Pocahontas) s’en tire également très bien.


Domee Shi, à l’instar d’Enrico Casarosa, fait ses premiers pas avec réussite et sincérité dans la réalisation de long-métrage d’animation et continue de confirmer la présence des nouveaux talents au sein de Pixar Animation qui ne demandent qu’à s’exprimer et à gagner en expérience et en maturité. Alerte Rouge est à la fois un bel hommage à la pop culture japonaise, un rite de passage à l’adolescence mêlant émancipation et reconnaissance de soin, à tel point que ça en est que plus énervant de le voir coincer sur la plateforme alors qu’il y a peu la sortie cinéma était au programme pour Alerte Rouge. Reste à espérer que Buzz l’éclair ne subira pas le même sort, sachant qu’il est dérivé de la saga la plus symbolique de la boîte à la lampe.

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