Méta morphose
A première vue, Alerte Rouge, avec ses histoires d'ados et de transformations, raconterait presque la même chose que Luca, abandonnant l'Italie de la dolce vita au profit des traditions...
le 14 mars 2022
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Troisième long-métrage Pixar à être largué directement sur Disney + (après Luca et Soul), il serait peu dire que le fait de ne pas pouvoir découvrir, une fois de plus, un film d’un studio d’animation bien plus talentueux que la moyenne soit quelque peu frustrant. Bien sûr, notre confort en tant que spectateur n’est rien comparé à la déception de centaines de milliers d’artistes ayant travaillé sur le film de voir leur vision réduite à de la simple consommation pour plateforme de streaming, alors qu’il était pensé pour être projeté sur grand écran. Si la stratégie de Disney a de quoi laisser perplexe, on peut également s’interroger sur l’annihilation du moindre aspect événementiel d’une sortie sur plateforme, celle-ci ne produisant évidemment pas le même engouement qu’une sortie cinéma. En effet, le studio aux grandes oreilles semble réserver une sortie plus conséquente à Buzz L’Eclair (qui aura bien droit à une sortie salle en juin 2022, si tout se passe bien) comme s’il avait tranché sur le potentiel commercial des deux longs-métrages : l’un est un blockbuster tiré d’une licence à succès, et l’autre un film mineur que le public oubliera vite. Mais est-ce véritablement le cas ?
Après son touchant court-métrage Bao, la réalisatrice Domee Shi nous dépeint, pour son premier long-métrage, l’histoire de Mei, une adolescente de treize ans vivant à Toronto découvrant que son corps renferme un pouvoir étrange. En effet, lorsqu’elle passe par d’intenses émotions, la jeune Mei se transforme alors en un immense panda roux, un pouvoir directement hérité d’une de ses ancêtres. Entre obligations familiales et concerts de boys band, elle s’efforcera de mener une vie de pré-adolescente classique sans que quiconque ne s’aperçoive de sa métamorphose.
Que ce soit dans son synopsis, dans son déroulé de l’intrigue ou même dans son titre, la métaphore que Domee Shi veut distiller au sein de son long-métrage paraît (trop) évidente : celle de la puberté. Le film ne se montre jamais aussi subtil qu’il voudrait être, et c’est là le principal défaut que l’on pourrait donner à Alerte Rouge. En résulte des scènes aussi inutilement explicites que gênantes, notamment lorsque Mei découvre son pouvoir pour la première fois. Paniquée par sa métamorphose, elle part se cacher dans la salle de bain sous les yeux de sa mère qui s’imaginera, pendant ce qui semble être une éternité, que sa fille connaît là ses premières règles. Le malaise atteindra son point culminant lorsque la mère ira jusqu’à suivre Mei à son école pour lui offrir ses premières serviettes avec la subtilité d’un Jean Lassalle après une pause Ricard.
Dès lors, la structure scénaristique du film devient assez prévisible : confrontation avec les parents, l’amitié comme seul refuge, incapacité de gérer des sentiments trop forts et, enfin, dernier acte durant lequel tout le monde se réconciliera et où il sera permis à Mei d’apprendre à vivre avec cette adorable créature à l’intérieur d’elle. Ajoutez à cela le fait que Alerte Rouge manque, pendant une grosse partie de son récit, cruellement d’enjeux importants, et le long-métrage aura de quoi déplaire à de nombreuses personnes.
Pourtant, et malgré ces défauts que l’on ne peut nier, le film parvient à séduire par différents moyens. Tout d’abord, le choix de placer l’intrigue au début des années 2000 (période que la réalisatrice a bien connue en tant qu’adolescente) créé tout de suite une forme d’originalité bienvenue. Avec des créations telles que Stranger Things ou Ready Player One, cela fait des années que la nostalgie des années 80-90 déborde dans notre pop culture actuelle, au point d’en devenir une sorte d’argument de vente cynique et détestable (coucou Space Jam 2). Ici, la nostalgie est axée sur une période bien moins représentée au cinéma, période que Domee Shi regarde avec une certaine tendresse : l’époque des tamagotchis et des boys band est un cadre parfait pour un récit qui ferait écho au parcours de la cinéaste.
Et cet amour pour son époque, on le ressent également dans ses personnages, à commencer par son héroïne. Dynamique et sûre d’elle, Mei et sa bande de potes s’avèreront suffisamment attachantes pour que le spectateur puisse se sentir impliqué par les faibles enjeux (on parle quand même de quatre gosses qui veulent aller voir leur boys band préféré en concert) qui parcourent leurs vies. Mais face à l’intransigeance de sa mère et, a fortiori, de sa grand-mère, le récit prendra la forme d’une lutte acharnée contre le puritanisme qui irrigue la famille de Mei. Ne t’approche pas des garçons, fais correctement tes devoirs, évite toute mauvaise influence, respecte les traditions de ta famille, etc… Toutes ces règles ne sont que des carcans dans lesquels Mei est enfermée, et qui risqueraient fort de sauter alors qu’elle découvre peu à peu que la vie peut également être un torrent d’émotions incontrôlables. La perfection voulue par la mère devient alors obsolète, et la solution pourra aussi bien être donné par des amies fidèles que par un père, plus introverti, exprimant à sa fille son soutien le plus infaillible quoi qu’elle fasse.
Bien que, comme dit précédemment, la métaphore de la puberté ne soit pas des plus subtiles, son traitement s’avère véritablement touchant lors de certaines scènes, notamment lorsqu’il s’agit de faire du pouvoir de Mei une sorte de malédiction qui l’obligerait à s’éloigner de ses proches. Le film parvient habilement à alterner entre une phase de découverte de sa métamorphose comique et une scène plus dramatique, traitant ainsi des nombreux problèmes qu’une telle transformation peut engendrer.
Visuellement, Alerte Rouge assure là aussi une qualité propre au studio Pixar. Plus coloré qu’un Soul, par exemple, le film assume son inspiration directement empruntée à certains animes japonais : les cœurs dans les yeux, les mouvements aux arrière-plans dignes d’un combat de shonen (qui ne sont pas sans rappeler Scott Pilgrim), certains gags visuels, etc… Cet écrin « japonisant » permet au long-métrage de se démarquer quelque peu des autres productions Pixar, bien que les animations et textures (notamment la fourrure du panda roux) soient toujours aussi époustouflantes de qualité. Le film se permettra même de lorgner du côté du film de kaïju dans un dernier acte particulièrement impressionnant, jouissif pour les yeux et libérateur pour le cœur.
Un dernier acte qui rattrapera à lui seul l’aspect laborieux d’une intrigue cousue de fil blanc. A terme, Alerte Rouge alterne scènes pénibles au possible et passages remarquablement inspirés (la scène de cauchemar de Mei, pas sûr qu’elle puisse être vu par tous les enfants…) pour un rendu final certes bancal, mais particulièrement attachant. Mais n’oublions pas une chose : il s’agit du premier long-métrage de sa réalisatrice. Bien que non dénuée de défauts (chose relativement propre aux premiers longs-métrages) Domee Shi a confectionné, ici, une œuvre personnelle qui semble même, par instants, prolonger certaines réflexions abordées dans son court-métrage précédent. Enrobé dans une forme techniquement irréprochable, Alerte Rouge ne s’avère peut-être pas être un Pixar aussi majeur que l’avaient pu être Là-Haut ou Coco par exemple, mais il demeure l’une des créations les plus intéressantes du studio dernièrement. Une création que l'on aurait aimé découvrir au cinéma. Merci Disney !
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Créée
le 17 mars 2022
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