Le plus petit de tous les Alexandre.
Je dois me rendre à l'évidence : il commence à être long le temps qui me sépare du dernier Oliver Stone que j'aie réellement apprécié. Vieillissant, aigri, pétri de certitudes qu'il n'a pas remis en doute depuis des lustres, son cinéma ressemble de plus en plus à une opération de communication perpétuelle ; à chaque nouveau film l'ampleur de l'événement (Stone va (re-)détruire Wall Street ! Stone s'attaque au monde pourri du football américain ! Stone va nous montrer qui est vraiment George W. Bush ! Stone va dévoiler toute la vérité sur le 11 septembre !) n'a d'égale que la profonde et générale déception qu'il provoque.
Alexandre aurait pu déroger à la règle. Stone semble avoir voulu s'approcher le plus possible de la réalité historique (autant que les deux millénaires qui nous séparent du règne de l'instigateur de la période hellénistique nous le permettent), et y est plutôt bien arrivé. Les grands moments de la vie d'Alexandre sont représentés : la mort de son père, la bataille de Gaugamèles, l'entrée dans Babylone, l'union avec Roxanne, la trahison de Philotas et Parménion, la mort de Cleithos, la bataille de l'Hydaspe... On pourrait reprocher au réalisateur d'avoir fait l'impasse sur d'autres événements importants comme le siège d'Halicarnasse ou la destruction de Thèbes mais le film souffre déjà de terribles longueurs sans qu'il n'y ait besoin de les aggraver.
Pour continuer dans les bons points, la relation passionnelle et ambigüe entre Alexandre et Héphaestion est bien traitée, avec subtilité et pudeur : les historiens les soupçonnent d'avoir été amants mais ne peuvent en apporter la preuve, donc Stone ne préjuge ni du oui ni du non et laisse au spectateur le soin de se faire sa propre idée. Val Kilmer est d'une justesse surprenante dans son rôle de Philippe II de Macédoine, père d'Alexandre : présenté comme un personnage sans coeur, il justifie parfaitement son aspect par son titre (la scène du partage des mythes dans la grotte aux peintures est édifiante) et le réel amour qu'il a pour Alexandre est évident : il le confie personnellement à Aristote pour son éducation et lui pardonne tous les outrages, même les plus graves, même en public. Enfin, Anthony Hopkins en Ptolémée mourant qui relate ses souvenirs d'Alexandre à son scribe est émouvant.
Le reste du film atteint de tels sommets de frustration qu'on pourrait croire que ces quelques réussites ne sont pas volontaires. Angelina Jolie joue Olympias, la mère d'Alexandre, avec un accent ridicule censé souligner qu'elle provient d'une tribu externe à la Macédoine. Passons sur le fait que le film est tourné en anglais, faisant de cet accent une invention infondée et superflue : soulignons plutôt que la tribu des Molosses parlait... grec, comme les Macédoniens. Cette idiotie est parfaitement représentative du personnage, puisque rien, de ses relations avec Alexandre à l'idée qu'elle aurait fait assassiner Philippe, n'est historiquement fondé. Quant à sa fille Cléopâtre, soeur cadette d'Alexandre, elle n'existe ici tout simplement pas.
Le personnage d'Alexandre campé par l'insupportable Colin Farrell est un pleurnichard qui gémit, geigne et se plaint pendant tout le film. Oliver Stone voulait lui donner une image vulnérable et humaine pour contraster avec sa grandeur, il en a fait un enfant gâté. Il n'a que cinq répliques ("je ne suis pas mon père !", "je n'aime que toi Héphaestion !", "essayez de comprendre ces peuples barbares !", "personne ne m'aime à part toi Héphaestion !", "et si on continuait vers l'est ?") qu'il assène au spectateur jusqu'à ce qu'ennui s'ensuive. Après à peine une heure de répétitions de la même scène dans différents décors, ennui s'ensuit. On s'aperçoit alors avec épouvante que l'on est à peine au premier tiers du film, dont voilà le principal défaut : il est horriblement long, et Stone lui-même semble se faire royalement chier tellement la deuxième moitié est bâclée.
"D'ailleurs allez hop, ça suffit, on rentre à Babylone, on bute Héphaestion et Alexandre vite fait bien fait, Hopkins/Ptolémée nous pond une petite conclusion larmoyante et on envoie les crédits, j'ai un film sur les dangers du sionisme à écrire moi." a dû s'exclamer le réalisateur à la fin du tournage, parce qu'on se sent vraiment violé par l'exécution sommaire des derniers instants du plus grand empire de l'histoire de l'humanité après avoir passé près de 3h devant une suite de péripéties sans réelle direction ni cohérence. On en vient à détester Alexandre, dont rien de l'intelligence, de la bonté, de la volonté d'unification des peuples n'est montré ici. On en vient à énumérer tous les sujets passionnants complètement occultés par Stone, comme l'aspect politique de sa confrontation avec le Royaume de Perse et les luttes intestinales qui ont suivi sa victoire, ou la révolution culturelle et sociale qu'a été son règne de l'Egypte à l'Afghanistan actuels. On en vient finalement à penser à autre chose, parce que c'était tout de même bien nul.
Je mets quand même 4, parce que Darius III de Perse a une classe incroyable pendant les 2:30 qu'il passe à l'écran. Et pour la poitrine opulente de Rosario Dawson.