Que de bonnes intentions. Quel potentiel. Quelle merde. Un paléontologue, son fils et son étudiante fétiche partent sur les traces d'hommes de Néandertal en Suisse. Pourquoi en Suisse ? Les scénaristes répondent à cette question tout à fait valable par une autre : pourquoi pas en Suisse ? Et je les comprends, car quand on pond un script rempli à ras bord d'incohérences et d'inanités, on aurait tort de s'emmerder à plancher sur de tels détails.

Les voilà donc en Helvétie. On prend juste temps de ramasser une famille de losers menée par Dominique Pinon sur le bord de la route histoire d'agrandir un peu le casting sans avoir à le justifier, et on se retrouve dans le vif du sujet. On installe rapidement quelques conflits relationnels dont le public n'aura rien à foutre mais qui permettront de rajouter des pages au scénario, entre Pinon et sa famille et entre le fils et l'étudiante (joués par Deutsch et Forestier, qui partiront bientôt en tournée dans toute la France sous le nom de scène "Le festival des têtes à mandales"), et hop ! élément perturbateur.

On nous explique en longueur que les personnages, serrés dans le petit break du scientifique comme un gang de Latinos qui font le trajet du barbecue familial à la discothèque un samedi soir à L.A., parcourent les routes qui surplombent les "Gorges du Diable", endroit dangereux et entouré de superstitions ancestrales tellement personne y va jamais tellement c'est la mort assurée tellement faut grave faire gaffe. Deutsch, au volant, conjure le mauvais sort en roulant à tombeaux ouverts sur ces chemins de terre qu'il ne connaît pas avec 6 personnes dans la voiture : faut bien qu'il y ait un accident, sinon sur quoi on fait le film ? Il ne tarde pas à arriver, et après avoir percuté un truc (un animal ? une borne routière ? une femme enceinte ?) la voiture va valdinguer dans les fonds des Gorges du Diable. Angoisse.

Personne n'a mis sa ceinture, à part le scientifique qui connaît les préconisations de la Prévention Routière. Tout le monde survit, à part le scientifique qui passe mystérieusement par la fenêtre du véhicule pendant la chute. A peine les péripéties lancées, on se rend compte de l'exploit des responsables casting : Dominique Pinon ne colle tellement pas à son rôle qu'on dirait un comédien débutant de la troupe de théâtre 12-16 ans du conservatoire à rayonnement départemental de la Dordogne. Quant à Deutsch et Forestier qui partagent des tranches de dialogue sur la paléontologie mâtinés de "ton père m'aimait plus que toi", voilà de quoi détourner définitivement notre jeunesse des sciences humaines. Je ne parle pas des autres acteurs : j'ai beau avoir vu le film il y a moins de 24 heures, je ne me souviens même plus du son de leur voix.

Les personnages sont ensuite poursuivis par des hommes de Néandertal qui ont survécu jusqu'à notre époque. Qu'entends-je, vous criez au spoiler, vous réclamez un minimum d'installation de l'intrigue, vous m'accusez d'avoir tué tout suspense ? Détrompez-vous, c'est exactement comme ça qu'on l'apprend dans le film. Alors on court, on crie, on traverse un cours d'eau déchaîné avec une corde (quelle corde ? une corde.), on se déboîte l'épaule, on crie encore un peu, on se cache trente secondes et on court à nouveau. Voilà un résumé exhaustif des 40 minutes de film qui suivent l'accident.

Exhaustif ? Pas tout à fait. Passons maintenant à l'élément qui fait que j'ai mis 2 plutôt qu'1 à Humains en hommage à l'hilarité non-voulue qu'il provoque : les incohérences incroyables du scénario (je les appellerais bien "plotholes", mais il faudrait un "plot" pour ça). Quelques exemples, pêle-mêle :

- Poursuivis par des Néandertal dans une forêt épaisse, les personnages s'accroupissent pour se cacher... au beau milieu du sentier. Les caverneux sont sympas, ils envoient une flèche à quelques centimètres du visage de l'un de nos héros histoire de prévenir, "c'est pas pour embêter mais on vous voit les gars". Cette flèche est tout simplement ignorée par les protagonistes, qui restent accroupis une vingtaine de secondes avant de décider que les ancêtres ne sont plus derrière eux. Les scénaristes, magnanimes, leurs donnent raison.

- On est dans une grotte. C'est la merde : un membre du groupe a été kidnappé par les Néandertal qui, n'ayant plus de femelles dans leur tribu, donnent dans la traite des sapiens pour faire perdurer l'espèce. Les protagonistes restants s'installent autour d'un feu et fument un énorme joint de weed pour faire passer le stress. Je vous laisse quelques secondes pour parcourir à nouveau ce que vous venez de lire et vous imprégner de l'inimaginable stupidité des faits.

- Les Néandertal sont des hommes des cavernes. Quoi d'étonnant, me direz-vous ? Pensez à l'évolution de notre société ces 500 dernières années. Maintenant, pensez à notre évolution ces 30 000 dernières années. Les Néandertal, eux, semblent ne pas s'être lassés de peindre les mêmes scènes de chasse représentant les mêmes cerfs sur les mêmes murs avec la même terre dans la même grotte dégueulasse. Alors oui, ils sont restés dans un minuscule territoire sur lequel ils règnent en prédateur absolu depuis des milliers d'années, ça ne pousse pas à la remise en question civilisationnelle. Mais d'une, le film nous apprend qu'ils ont des contacts réguliers avec un village de Suisses qui les aident à survivre, et de deux, je ne donne pas à ces scénaristes le crédit d'en avoir eu la réflexion sans l'avoir foutue telle quelle dans un dialogue entre les deux écervelés.

- Les autochtones Suisses donnent un superbe paradoxe : ils parlent entre eux en Schwiizertüütsch, c'est à dire le vrai dialecte alémanien parlé dans les fins fonds de la Suisse Germanique. Par contre, ils parlent français avec un accent belge.

- L'accident ? Ouaip, c'était une femme enceinte.

Je m'arrête là, pas parce que je voudrais vous inciter à voir cette bouse pour rire du reste, mais parce que je m'en veux déjà d'avoir tant écrit à son sujet. J'ai beaucoup d'empathie pour Molon et Thévenin, deux artistes maquilleurs émérites du cinéma français à qui on a fait la fleur de commander un film issu de ce scénario pourri pour leur premier essai derrière la caméra. J'ai beaucoup d'empathie pour les comédiens : après tout, si une de mes idoles qu'est Dominique Pinon peut paraître si mauvais ici, qui sait... Leurs piètres performances ne leurs sont peut-être pas entièrement dues.

J'ai par contre un mépris profond pour des scénaristes qui ont de bonnes idées mais qui sont incapables de faire la moindre recherche contextuelle, la moindre application narrative, le moindre dialogue chiadé : ce sont ces éléments qui font du travail de scénariste un TRAVAIL, et pas une lubie à la portée de tout adolescent qui aime les fanfics. J'ai encore plus de mépris pour des producteurs capables de mettre leur tampon et leurs gros chèques sur un tel affront au 7e Art au risque de tuer quelques dizaines de carrières quand c'est si difficile de trouver les fonds pour un projet intéressant mais pas bling-bling.
CDots
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le 2 janv. 2011

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