Malgré un scénario inabouti, Algol examine la vie à l'ère industrielle.
Un personnage méphistophélique (dont les origines ne seront pas explicitées, grosse impasse du scénario) propose un pacte faustien qui anticipe l'exploitation nucléaire, à un mineur dégoûté de passer ses jours sous terre. Il pourra capter l'énergie de l'étoile Algol, source illimitée d'une électricité qui fera sa richesse et rendra toutes les nations voisines dépendantes de son pays d'adoption. Engagées dans le cercle vicieux d'intensification de l'activité industrielle pour payer l'électricité qui a rendu possible cette activité industrielle, les usines accumulent les blessures du personnel. Bien qu'il soit le sujet central du film, le travail est très peu représenté - une scène dans l'obscurité pour figurer la mine, un plan près d'une machine lors d'un accident. Le travail des enfants n'est pas abordé. Le film préfère représenter l'ancien mineur devenu patron, et la "trahison" de ses "racines" . Son pays d'origine (si j'ai bien compris) est le dernier à résister encore à la course du progrès industriel, et continue à vivre derrière le soc et le cheval de trait.
Le ton du film est moralisateur: la mère vertueuse regrette la trahison de son fils devenu patron, l'héritière patronne des mines pleine de bonnes intentions (le début du film la montre offrant une sortie aux mineurs et à leurs familles - et après?) va à sa perte en épousant ce nouveau riche, leur fils est corrompu parce qu'il veut connaître le secret de cette source d'énergie illimitée (ah?) et qu'il épouse une vile mondaine...
L'intrigue est inconsistante, et le visuel souffre de moyens limités (rares décors plutôt chiches).
Sorti quelques années après les remous révolutionnaires de la fin de la guerre, Algol se garde d'évoquer la possibilité d'un soulèvement d'extrême-gauche, ou même d'un combat syndical : il se contente d'opposer l'alternative entre le mode de vie traditionnel agraire soumis aux rythmes naturels, idéalisé et en train de disparaître, et une société d'hubris, de progrès technique dangereux et de décadence morale.
Cependant, la critique sociétale est bien présente : la promesse d'une énergie libérant les hommes du travail de la mine est montrée comme une chimère, tant que les ouvriers resteront sacrifiés au profit d'une élite aux "fausses" valeurs. Le film dénonce la société productiviste qui asservit aux machines, en montrant combien la malédiction repose dans les objectifs donnés à l'activité humaine - la reproduction des rapports hiérarchiques et non l'émancipation, la perpétuation d'une organisation sociale injuste quels que soient les moyens de production, toujours soumis à l'accumulation du capital plutôt qu'à la poursuite d'un bien-être (les accidents du travail, toujours d'actualité aussi).
Ce que résument le début de 2001 et le générique de Real genius : de la massue à la navette spatiale, les buts ne sont jamais à la hauteur des moyens.
Hélas, les moyens de ce film sont aussi mesquins que cette nature humaine, et non étendus comme les moyens qu'elle gâche ; un peu comme cette phrase, très moyenne.
Si le récit couvre ambitieusement des décennies et des thèmes amples, l'alternative entre les choix de société et de vie ne se traduit ni en dilemme individuel ni en péripéties (comme dans Le Meilleur des mondes (1931) ou Little big man) , et contrairement à Scarface, l'ascension du personnage principal m'a laissé indifférent.
Algol est une allégorie ancrée dans un cadre réaliste, mais le mélange ne fonctionne pas car chaque genre impose à l'autre des limites arbitraires - pourquoi cette étoile et ce Lucifer dans la représentation d'une société industrielle, pourquoi la soumission des salariés à ce modèle après s'être révoltés en partie contre les précédents? Il préfigure les dystopies fameuses à venir, mais demeure une tentative bancale sur leur voie, intéressant surtout pour les historiens du cinéma et de la SF.
"Assis dans le bateau, en plein milieu de l'eau, j'ai dit : "Pourquoi font-ils ça?" Ils les tuaient pour l'huile. Et l'un de ses usages était la fabrication de missiles ballistiques intercontinentaux. C'était l'un de ses usages de valeur en union soviétique à l'époque. Alors j'ai dit : "Nous voilà tuant cette créature magnifique, socialement complexe, consciente d'elle-même, intelligente, dans le seul but de fabriquer une arme destinée à la destruction de masse d'êtres humains." Et j'ai saisi : nous sommes fous."
Paul Watson parlant de lui-même, in Watson, 2019.
:p