Algol est un film injustement méconnu ou ignoré et lorsqu'il est mentionné, ce n'est que pour le comparer à Metropolis, qu'il précède pourtant de sept longues années. À sa tête, un réalisateur connu presque exclusivement pour ce film, Hans Wreckmeister. La quasi intégralité de l'équipe technique partage un similaire anonymat et ce n'est qu'au casting que résonnent les premiers grands noms, tels Emil Jannings (le professeur dans L'Ange bleu) en Robert Herne, rôle principal, John Gottowt (que l'on aperçoit dans L'Étudiant de Prague ou dans Nosferatu) en Algol, ou Hanna Ralph (Les Nibelungen et Faust) en Maria Obal, pour ne citer qu'eux. Ces acteurs regorgent de talent et leur jeu est souvent très juste, purgé des quelques exagérations que l'on constate parfois dans cette période du muet.
Robert Herne est un mineur qui souffre de ses conditions. Il rencontre un collègue nommé Algol, en réalité un extra-terrestre / démon (au costume plutôt sympathique) venu de la planète du même nom et qui lui promet le monde grâce à une machine produisant une énergie éternelle, remplaçant alors le charbon. Bien sûr, tel Méphistophélès, Algol est trompeur et c'est un contrat maudit, il ne demande rien en retour, mais la réalité qui lui est offerte est bien trop éprouvante, malgré ses nombreux bénéfices. C'est donc un film mêlant science-fiction et politique, un intéressant mélange rappelant évidemment Metropolis, d'autant plus lorsqu'on observe ce duel de classe, ces ouvriers "souterrains", ces fantasmes machinistes, cette opposition entre les bons et braves travailleurs et les autres, plus effrontés. Il tire cependant de son histoire quelques conceptions qui n'intéresseront pas vraiment son futur conquérant, comme le mondialisme ou la bio-énergie, des thèmes étonnement contemporains, bien que parfois épuisants (par exemple, l'intrigue du pays de Maria et Peter ne m'a pas vraiment intéressé). J'ai particulièrement apprécié cette idée d'une malédiction plus métaphorique, une sanction moins littérale qu'une simple âme volée, le monde est à lui, mais le monde est vaste et exigeant, un simple ouvrier qui n'a connu que la mine serait-il en capacité de le gérer ? Pas même son fils ou son épouse ne lui sont entièrement dévoués.
Le film s'inscrit dans un cadre expressionniste d'ailleurs décoré par Walter Reimann, l'un des décorateurs de l'excellent "Cabinet du docteur Caligari", chef d'œuvre de ce mouvement artistique. Les acteurs sont baignés dans un univers agréable à l'œil, parfois à l'extérieur, mais souvent dans ces intérieurs artificiels, ce fait-main issu du théâtre où l'on ressent encore l'effort des artisans les construisant ou les coups de pinceau des artistes les peignant. La caméra s'amuse en s'y déplaçant, elle aime à créer quelques élégantes symétries, dans les couloirs ou dans la salle à manger, marquant la rigueur de l'univers d'un nouveau riche à la tête d'un monde entier, ou la tension d'un jeune homme hautain voué à usurper la place de son père, quand dans sa chambre circulaire même une séduisante danseuse ne peut le tirer de sa lassitude. Je ne prétendrai toutefois pas que ces décors sont toujours parfaits, le ciel étoilé fait trop faux et la machine produisant cette si précieuse énergie éternelle n'est pas suffisamment magnifiée, elle ressemble à un simple rouage comme tant d'autres. À noter la présence d'un cours traveling au-dessus de machines industrielles, peut-être des images d'archive, il n'empêche que le passage est sympathique.
Ce film mérite mieux que le relatif anonymat dans lequel il est plongé, d'autant plus qu'il est disponible en une version complète et d'excellente qualité. Il brasse certains sujets intéressants et s'il ne parvient pas toujours à être prenant, il comble ses longueurs de ses beaux décors, des agréables vues de sa caméra et de la qualité de ses acteurs. Un must pour les amateurs d'expressionnisme allemand ou de vieilles science-fictions.