Le lapin empaillé se réveille. Il coupe de ses dents acérées les tiges de fer qui le fixait au sol, ouvre un tiroir caché, récupère ses beaux vêtements et s'habille élégamment. Chapeau haut de forme, gants blanc, collerette, veste brodée, mais quelle prestance ! "Oh mon Dieu ! Oh mon Dieu ! Je vais être en retard !", dis le petit lapin blanc empaillé sortant de son abdomen une montre à gousset qu'il lèche afin de la débarrasser de la sciure qui s'écoule de son ventre. Il se précipite alors dans un tiroir puis disparaît. Mais ce cher monsieur lapin n'a pas remarqué qu'une petite fille blonde prénommée Alice avait les yeux fixés sur lui depuis le début de la scène, et curieuse, celle-ci ne va pas tarder à le rejoindre dans ce tiroir que l'on pourrait qualifier de "magique". Bizarre, vous avez dit bizarre ? Disons plutôt délicieusement atypique !
En effet, oubliez les traditionnelles adaptations du roman de Lewis Carol car ça ne ressemble à rien de connu. Ce film, mené d'une main de maître par Jan Svankmajer, est un véritable petit bijou d'imagination à l'esthétique soignée et aux choix de mise en scène judicieux. En effet, tout comme Alice, nous découvrons ce monde où tout est possible. Avalez de l'encre et vous rapetisserez. Au contraire si vous mangez un des ces délicieux petit gâteau alors vous grandirez. Attrapez les clés, ouvrez les portes, et découvrez des créatures plus rocambolesques les unes que les autres. Des créatures faites de bric et de broc : un poulet avec un lit en guise de tête, un lézard affublé d'un crâne dix fois trop grand pour lui, un crâne avec des pieds... Un véritable cabinet de curiosité ! Sans bien sur oublier les personnages essentiels du roman : le lapin qui tartine les montres d'une motte de beurre, le chapelier fou, la reine de cœur et son inoubliable réplique et bien évidemment le petit lapin blanc.
D'ailleurs, l'animation y est parfaitement maîtrisée et la mise en scène, comme je l'ai déjà dit, est quand a elle très audacieuse. J'aurais presque envie de dire cohérente, mais ça serait d'un non-sens absolu. D'apparence très sobre, toute l'action, excepté la scène initiale se passe en intérieur, ce qui donne au film une atmosphère presque angoissante (sans jamais aller jusque là). De plus, la Alice du film est bien différente de celle qu'on connait, plus mature et plus sombre aussi (on se souviendra notamment de sa dernière réplique). A cela ajoutons cette fin se détachant nettement de l'oeuvre originale, celle qui remet tout en question. Au final, je ne peux que conseiller cette oeuvre qui à partir de ce jour demeure à mes yeux l'une des meilleures adaptations du livre jamais réalisée, qui tout en respectant l'essence de l'oeuvre originale, s'accorde toutefois certaines libertés parfaitement maîtrisées.