Ou comment se faire de l'argent.
Un massacre.
Je sais qu'avec ces simples mots certains vont crier "mais nooooon il était bieeeen", ben, oui, c'est vrai: c'était sympa, un bon divertissement à voir en famille avec la petite soeur bien tranquillement enfoncé dans son canapé, un chat sur les genous. Mais rien de plus. Double déception quand on connait l'oeuvre originale et le réalisateur. Triple si l'on espérait que le film ne soit pas entièrement centrée sur Johnny Depp. Parce que c'est le cas.
Pour résumer: Alice tombe dans le pays des merveilles. Il apparait qu'elle y était déjà allé, mais qu'elle ne s'en souviens plus, du coup elle redécouvre tout. C'est la guerre entre la reine blanche (le bien) et la rouge (le mal), et Alice, armée du Glaive Vorpalin, se doit de rétablir la supprémacie du bien sur le mal en combattant aux côtés du chapelier fou et de la reine blanche, et en achevant le terrible Jabberwock, sorte de dragon, qu'elle seule peut vaincre selon une prophétie ancienne et poussiéreuse.
OK.
Ben, excusez-moi, mais ça, ce n'est pas Alice. ça, c'est un film SF classique, reprenant des rouages scénaristiques vieux comme le monde, et qui n'ont rien, rien, rien à voir avec l'Alice de Caroll. Bon, alors oui, c'est vrai, les adaptations cinématographiques sont censées donner une nouvelle dimension aux oeuvres, je suis d'accord, entièrement d'accord. Mais à condition qu'elle donne un plus à l'oeuvre originale. Là, c'est un gros moins: un gosse (parce que c'est un film pour gosse, ou jeune ado, désolé) qui découvre Alice avec ça, il va forcément croire que le livre est un bouquin fantasy du type qu'on en lit souvent chez Bragelonne. Aucun problème à lire de la fantasy (j'adore ça), mais il ne faut pas confondre l'univers du pays des merveilles avec ça.
Déjà, premier problème: le mélange de "l'autre côté du miroir" et du "pays des merveilles". Bon, c'est un raccourci facile qui se fait dans quasi toutes les adaptations, du jeux vidéo au film en passant par le dessin animé (le disney étant d'ailleurs bien plus réussi que ce film, soit dit en passant). Mais ce qui me chagrine, c'est l'assimilation entre la reine rouge et la reine de coeur: les deux sont des personnages différents. La reine de coeur domine un monde de cartes, la reine rouge est en fait la reine noire d'un jeu d'échec, opposée à la reine blanche. Il y a tout une symbolique et des univers totalement différents dans les deux livres originaux, et c'est dommage de mélanger les choses de la sorte. Ils auraient tout simplement pu faire de la reine rouge la vraie reine rouge plutôt que d'en faire cette reine de coeur qui n'a rien à faire là. Mais, bon, je suppose que ça aurait posé des problèmes de compréhension avec ceux qui avaient le disney en tête: donc Tim Burton avait juste pas envie de faire un truc trop compliqué à comprendre, il est clairement dans du cinéma enfantilisant, un truc simple, facile, de l'action, limite de l'amour (excusez moi, mais la relation entre le chapelier et alice est vraiment étrange. Bon, à la rigueur, ça, ça colle avec le fait que Caroll était surement pédophile. Mais bon.), un univers joli haut en couleur, et basta, plein de sous dans les poches.
Autre gros, gros, gros problème: cette opposition stupide du bien contre le mal. Depuis QUAND est-ce qu'Alice aux pays des merveilles oppose le bien au mal?? Bien au contraire, l'oeuvre originale place le personnage dans un univers totalement délirant, relevant clairement du rêve, où tous les personnages balancent entre opposants et adjuvants sans jamais prendre une position claire!! On est au royaume du rêve, presque de la folie, du jeu, donc du jeu de rôles, pas dans un stupide film hollywoodien avec des gentils et des méchants! Le chapelier fou: il n'a jamais été le grand ami d'Alice. C'est un personnage dérangeant, fou justement, avec qui elle prend le thé d'abord pour le plaisir de s'assoir prendre le thé, ensuite pour paraitre polie, avant de s'en aller exaspérée par les réactions et le discour totalement barré du personnage (sans parler du lièvre de mars, qui il me semble est absent du film, ni du mulot). La reine de coeur: un personnage certes très dangereux (car elle a le pouvoir), très autoritaire et qui tue ses serviteurs d'un claquement de doigts, mais qui n'est absolument pas l'ennemie d'Alice. C'est une reine. Avec toute la cruauté et l'absurdité que le pouvoir comporte.
Je peux continuer longtemps comme ça. Tim Burton ne s'est pas contenté de créer une monde gentillet, il a totalement saccagé la direction même de l'oeuvre. J'ai lu dans un article qu'à la base, Walt Disney détestait le dessin animé d'Alice au pays des merveilles, parce que selon lui il devait y avoir un chevalier blanc qui arrive pour sauver la princesse (alice) des griffes des méchants, avec une histoire d'amour, le truc habituel. L'équipe du film s'y est opposé en nous offrant l'adaptation que beaucoup connaissent, qui est une adaptation certes un peu simpliste mais tout aussi dérangée que le livre, avec un style graphiques très inspiré des illustrations d'époque. Eh bien, avec ce massacre qu'est l'adaptation de Burton, on a notre chevalier blanc, même si c'est Alice qui va le sauver, finalement: le chapelier fou, devenu le personnage le plus important de ce film, puisqu'incarné par Depp. Autant dire qu'une grosse partie du public ne venait pas voir Alice au pays des merveilles, mais Depp mis en scène par Burton.
Je finirai en ajoutant que Caroll a créé une oeuvre mettant en scène le rêve: cet univers ou tout arrive sans aucune logique, ou la logique elle même est totalement nouvelle, où l'enfance a le pouvoir absolu. Lisez les livres: vous y trouverez une jeune enfant perdue dans un univers totalement fou qui vous aménera à rêver vous aussi.
Regardez ce film: vous y trouverez une histoire banale et des personnages fades, une grosse impression de déjà vu, tout juste relevée par des décors il est vrai somptueux et un Johnny Depp toujours aussi en forme, mais qui n'a rien à faire là. La soupe habituelle.
Ma plus grande déception d'adaptation cinématographique.