Un joyeux non-anniversaire!
"Alice au pays des merveilles" est assurément bien loin des standards de Disney. Il faut dire que mettre en image le merveilleux conte de Lewis Carroll s'avère un pari audacieux.
Le film apparaît ainsi plus comme une succession de scénettes ayant bien du mal à se lier entre elles, qu'à une histoire disposant d'un fil conducteur solide. Les deux premiers tiers d'Alice au pays des merveilles voient ainsi la jeune fille passer le plus clair de son temps à poursuivre le Lapin Blanc tandis que dans le dernier tiers, elle s'efforce simplement de rentrer chez elle. Il n'est ainsi pas évident pour le spectateur de suivre le réalisateur dans sa volonté de mettre en exergue la grande curiosité dont fait preuve Alice.
Les innombrables bizarreries en chemin, toutes réussies qu'elles soient, existent indépendamment les unes des autres et ne forment, à aucun moment, une trame claire. Le délicieux et inestimable passage du morse et du charpentier coupant la rencontre de Tweedle Dee et Tweedle Dum résume à lui seul le sentiment de perdition éprouvé par le spectateur qui se demande alors où l'on veut bien le conduire.
Jamais Disney n'avait atteint un niveau d'absurde aussi élevé. Tous les repères sont en effet habilement malmenés. Le temps, d'abord, se voit tout entier déréglé, tant sur son écoulement que sur ses symboles. L'espace, ensuite, est méticuleusement explosé. Sans dessus, ni dessous, sans queue, ni tête. La morale enfin est généreusement ignorée pendant le film.
"Alice au pays des merveilles" prend toute sa valeur quand le spectateur accepte d'en vivre l'absurde et le loufoque. Le film tout en entier est d'ailleurs porté par des personnages tous plus charismatiques et cocasses les uns que les autres.
Alice, rôle-titre, est en apparence la plus fade. Elle est, en fait, censée porter le fil conducteur du récit tout en représentant l'ordre, dont son éducation incomplète l'a imprégnée. Elle apparaît ainsi comme un rempart, à l'évidence très faible, contre le désordre et l'absurde régnant dans le pays loufoque qu'elle traverse. Elle se révèle, alors, par petites touches, tout au long du film, en apprenant, peu à peu, à envisager la logique de l'univers qu'elle visite, jusqu'à affronter, avec courage, le symbole de la force représentée par la Reine dans un procès mémorable. Alice, seule personnage cohérent portant les valeurs traditionnelles, est fort logiquement représenté de façon réaliste. Alice évolue bien sûr dans une galerie de personnages, éblouissante de trouvailles et de surprises. La vraie réussite du film est là: dans sa pléiade de rôles secondaires, tous réussis!
Le chat du Cheshire est ainsi à couper le souffle. Il est, par excellence, le symbole de l'absurde. Paradoxalement, il est aussi le seul personnage à vraiment écouter Alice. Son design est, à bien des égards, génial. Son sourire, en parfaite demi lune, éclatant de blancheur, son corps rondelet et rassurant, ses rayures harmonieuses rappelant un pyjama de bagnard et son aptitude à se fondre dans le décor font porter de nombreuses interrogations sur sa réelle personnalité.
Le Chapelier Fou n'est pas en reste. Sa meilleure scène est assurément celle où il s'affaire à réparer la montre du Lapin Blanc en acceptant, sans tiquer, tous les objets absurdes que lui tend le Lièvre de Mars peu décidé à en faire le tri. Seule la proposition d'utiliser de la moutarde le fait réagir et préférer un zeste de citron! La mimique est alors excellente et le passage tout entier jubilatoire.
La Reine de Coeur, enfin, est tout aussi emblématique. Elle est plus inquiétante que véritablement effrayante. Elle vaut d'ailleurs essentiellement pour son sale caractère et son manque de patience maladif. Ses brusques colères comme son inconsistance permanente la rendent, tout à la fois, antipathique et comique. La scène où elle reçoit un cadeau lors du procès final est un délice tant il est bluffant de la voir passer radicalement d'une colère noire à la mine d'une bêta réjouie.
"Alice au pays des merveilles" est un chef d'œuvre à voir et à revoir sans modération tant il surprend par ses innombrables qualités, au premier rang desquelles son incroyable capacité à traverser les époques.