Alice et le maire de Nicolas Pariser est un très beau film, qui par sa qualité à observer les détails de la vie politique, arrive à faire se télescoper deux notions : celle de la pensée et celle du mouvement.
Dans un milieu politique en perpétuel mouvement et dont l’action est le seul mot d’ordre, allant systématiquement d’un point A à un point B sans forcément savoir en quoi le progrès peut avoir des vertus, où tout n’est que note et fiche, le temps de la réflexion est bien amoindri. Cela pourrait vite tourner en rond, et s’inscrire dans une idée de mise en scène bien vite désuète, mais Nicolas Pariser conduit parfaitement l’agencement de son récit, avec un rythme presque effréné. Alice et le maire fait grandement écho à Doubles Vies de Olivier Assayas, sorti lui-même cette année. Mais là où ce dernier se posait des questions sur le numérique et le futur des maisons d’édition dans un entre-soi un peu trop gourmand, cynique et libidineux pour émouvoir, Alice et le maire ne cesse de se questionner, avec drôlerie et partage, sur la responsabilité, la puissance de la vocation et la proximité même de l’homme politique avec ses propres citoyens.
Les deux films se répondent grâce à ce même penchant pour la discussion, pour la valeur des mots, la place de la culture en chacun de nous, pour le débat et le renouvellement d’une pensée sur le futur ou non de notre société. Deux films qui remettent la parole et la contradiction au goût du jour. Alice et le maire ne souffre d’aucun temps mort, et ne contient que très peu de « gras » : le sujet n’est jamais perdu de vue et le film ne se délite pas dans les habituelles péripéties narratives (histoire d’amour, grands moments politiciens…). Avec un planning journalier presque ininterrompu, qui voit les obligations politiciennes s’accumuler de manière continue, le long métrage nous montre bien un monde politique « marketé », comme un cercle vicieux, à la limite de la robotisation, qui par son incapacité à prendre le temps de la réflexion, ne peut répondre à des questions de terrain. C’est dans cette bribe d’idée que le personnage d’Alice joue la passerelle entre la volonté de théoriser des thématiques démocratiques et philosophiques, qui paressent bien volatiles mais qui au contraire permettent d’avoir un meilleur regard sur le peuple et son quotidien.
Outre son discours sur la gauche et la droite, qui sont séparées politiquement par l’immédiateté de l’argumentation et leur faculté à jouer avec l’urgence de notre époque, outre cette élite artistique aussi incomprise que déconnectée de tout ordre social, outre cette description plus ou moins méticuleuse des connexions sociales dans un cabinet municipal, le scénario évite bien des pièges comme celui de ne pas ériger son film avec un slogan bien tape à l’œil « les politiques, tous pourris », malgré le personnage de l’imprimeur et sa rancœur tenace contre ce milieu. Mais surtout, le point fort du film de Nicolas Pariser, reste en tout point, son duo d’acteurs : la magnétique Anaïs Demoustier et le pudique Fabrice Luchini. Elle aurait pu incarner le rôle d’une donneuse de leçon, et lui d’un politique furibard et outrancier à l’instar de Thierry Lhermitte dans Quai d’Orsay. Mais il n’en est rien : la qualité d’écriture des personnages leur propose autre chose, bien plus nuancée.
Elle, campe une jeune femme qui est là pour amener des idées et refaire marcher la machine à penser du maire. Sauf que le décorum municipal – avec cette urgence dans le mouvement, cette pression de répondre à l’immédiateté où les interactions sociales sont comme un rollercoaster fonçant à toute berzingue – est vite nuisible. Alice ne semble plus savoir qui elle est ou qui elle veut devenir. Lui, après des années de bons et loyaux services, voit en lui perdre toute imagination et toute disposition à trouver des réponses à son métier (ou sa vocation) pour qui il a tout sacrifié. Il n’a plus de « carburant dans le moteur » et se trouve de plus en plus bête, dans un environnement qui pousse à l’effacement de l’idée même d’idée. Et à travers ce jeu de passe-passe, où les deux protagonistes ne cesseront de débattre et redéfinir la notion même de solitude, Alice et le maire se mue en petite perle de cinéma, prenant la tangente de ce qu’elle essaye de définir pour faire se jumeler politique et cinéma : un lieu d’écoute et de réflexion qui rassemble autour de lui, et qui doit faire apparaître en lui, le feu du plaisir.
Article original sur LeMagducine