J'ai mis des années à taire mes réticences, à accepter de me frotter à la partie de la filmographie de Scorsese qui m'intéresse le moins. Ce n'est pas directement lié au cinéaste en lui-même mais de manière générale à un genre cinématographique qui m'indiffère, ou pire qui peut m'agacer, un genre qui ne m'emballe pas, ne me transporte pas, ne m'intéresse pas car ne m'émeut pas : le mélodrame. J'ai donc mis des années à voir Kundun, Le Temps de l'Innocence... Et Alice n'est plus ici.
Moi qui me targue de bien le connaître, c'était sous-estimé Martin Scorsese que de l'imaginer raconter une histoire sans s'en approprier les codes esthétiques, narratifs et même historiques, et s'amuser avec. C'est le cas de la séquence d'ouverture, qui renvoie autant au Magicien d'Oz qu'à du King Vidor. C'est le cas avec Ellen Burstyn, irradiante, qui n'est pas sans évoquer quelques rôles de Barbara Stanwyck. Autant d'éléments qui, combiné à un certain humour décalé, parfois burlesque, confère au récit une dimension supplémentaire, un petit quelque chose qui transforme un banal mélodrame en comédie dramatique grinçante, touchante, et pour le coup émouvante. Je n'y croyais pas, Scorsese l'a fait : je me suis découvert une tolérance au mélo, comme ça, par hasard. Et, tout en admirant la qualité indéniable de Scorsese comme directeur d'acteur et l'art de photographier le quotidien avec panache, de me dire que je devrais peut-être enfin me frotter aux grands maîtres du genre qui ont marqué ce film de leur aura. Ce n'est sans doute pas le Scorsese immanquable parmi tous, mais c'est une belle réussite, en toute simplicité, qui mérite au moins une vision pour découvrir combien Scorsese est, même avec peu de moyens, un conteur hors-pair.