Alors qu’il entame des débuts remarqués dans l’horizon du Nouvel Hollywood, un courant qui a emboîté le pas à la Nouvelle Vague en France et permettant à moult et nombreux talent de se révéler, les studios de la Warner ressortent du succès de L’Exorciste de William Friedkin et souhaite engager l’actrice du film, Ellen Burstyn, dans un film féministe sur une mère au foyer au mariage malheureux. Par les conseils de Francis Ford Coppola, Burstyn portera son choix sur un jeune talent et grand auteur à devenir qui avait déjà fait parler de lui via son court The Big Shave et son premier gros succès critique Mean Streets.
Ce qui est intéressant je trouve quand on remonte de plus en plus loin dans la carrière d’un auteur, c’est de découvrir comment il a été influé par d’autres auteurs avant lui puis comment il s’est construit au fil de ses court et long métrages que ça soit sur la forme ou dans ses thématique abordés. Si ici on ne sent pas totalement Alice n’est plus ici comme un film très proche de ses sujets courants (la question de la religion, la montée du succès avant la chute inéluctable, le plaisir et la liberté offert par le milieu criminel, l’enfermement dans un milieu social inextricable, etc...), on sent qu’il fait l’objet d’une influence cinématographique auquel il veut rendre hommage et il lui rend très certainement honneur, étant ressorti de manière très positif de mon visionnage.
Deux principales qualités font qu’Alice n’est plus ici fonctionne sur sa durée et sur son idée de départ : la première est Ellen Burstyn. Indéniablement touchante dans la peau de cette femme au foyer insatisfaite de son mariage, mais qui ne sera jamais entièrement montré comme une femme facile car usant jusqu’à la corde de tout ce qu’elle a matériellement et de façon inné pour survivre, mais jamais non plus comme une intouchable car victime des mentalités de l’époque qui perdurent encore aujourd’hui (la première rencontre amoureuse avec Ben joué par Harvey Keitel, en apparence plaisant homme mais finalement époux violent et infidèle) et capable d’être à bout de nerfs comme n’importe quelle mère trentenaire.
Et le second point, c’est le mouvement. J’apprend rien à personne mais quand on veut raconter une histoire, tout doit être mis en œuvre pour être la mieux raconté possible de la lumière en passant par le cadre et les effets de style à la caméra. A ce jeu là, même si certains pourraient rapporter ce film comme un exercice de style, à aucun moment je me suis dis que le mouvement ou les images n’avaient pas un minimum d’évocation narrative : que ça soit un simple mouvement de pivot à 90° pour filmer un repas qui tourne mal jusqu’à la caméra à épaule nerveuse lors d’un passage à tension en passant par des plans fixes évidents quand la caméra n’a pas besoin de bouger.
Ceci étant dit, Alice n’est plus ici ne repose pas sur un ton monocorde. Tout comme l’existence d’une mère célibataire ne reposerait surement pas sur du malheur ou des coups de bols permanent, ses moments de joie comme d’apaisement ou de rire plus ou moins attendu viennent agréablement atténuer son voyage. Que ça soit par des rires cassant ou des rencontres plus bienveillante à l’image de Kris Kristofferson (gros capital sympathie personnelle pour lui, surtout pour sa bonne gueule) nué de bon sens, et de la sympathique et railleuse serveuse de fast-food Flo avec une des répliques les plus comiquement outrancière que j’ai entendu depuis bien longtemps :
- Elle est allé chier, et elle s’est noyé dans sa merde.
Mais surtout, on peut ressentir en Alice n’est plus ici un de ces moult et nombreux film du Nouvel Hollywood qui possèdent un je ne sais quoi qui le rend aussi séduisant aujourd’hui qu’il pouvait l’être à sa sortie.
Est-ce que c’est par la quête d’indépendance de l’héroïne au sein du microcosme de l’époque, beaucoup plus proche de nous psychologiquement et bien loin des figures forte et peuplant en grand nombre nos écrans de cinéma et de télévision ? Est-ce que c’est par l’époque qu’il dépeint comme d’autres films de la période du Nouvel Hollywood, avec une fraîcheur qui manque de nos jours ? Pour l’hommage au vieux cinéma américain, surtout celui de Nick Cassavetes au travers cette introduction au rouge fortement saturé sur You’ll Never Know d’Alice Faye avant que vienne la désillusion, ou bien par la curiosité des débuts de Martin Scorsese ?
Cela peut être tout ceci à la fois, en plus de ses enjeux purement intimes et personnels qui se suffisent amplement à cette fiction. Et aussi, finalement, de quelques questions qu’abordait tout de même Martin Scorsese à ce moment là avec la relation homme/femme avant de l'aborder plus tard à plus d'une occasion comme dans Le Temps de l'innocence, preuve qu’il s’est très finement bien construit au fil de sa carrière et qu'il aime le cinéma.
Acclamé à son époque dont l’Oscar de meilleure actrice pour Ellen Burstyn, bien que mineur dans la carrière de Scorsese lorsqu’on le compare aux œuvres majeures qui ont suivi (vous en connaissez très probablement une ou deux minimum), et bien qu’il ne nous épargne guère des détails énervant (Tommy Hyatt le fils d’Alice restant assez casse-couille bien que ça soit justifié, un happy ending un peu poussée), Alice n’est plus ici représente un tournant important dans la carrière de son auteur ou il fait une excellente démonstration de narration au profit d’un road-movie fort et qui évite constamment d’être poussive, monocorde ou crétine dans sa démarche.
Une très beau film qui aura encore plus d’intérêt pour quiconque étant attaché un minimum au réalisateur.