Alice T. semble de prime abord un film « réaliste » dont le réalisateur, Radu Muntean, ne semble avoir d’autre but que de capturer des instants de vie, nous immergeant au plus près des personnages et de leur quotidien, tout en occultant le plus possible ses partis-pris de réalisateur: la mise en scène est très dépouillée, pour ne pas dire squelettique, réduite le plus souvent à un seul type de cadrage, une seule échelle de plan, et rarement plus d’un plan par séquence. L’action se résume à une suite de scènes de la vie de tous les jours prises sur le vif, et ne semble rien vouloir cacher, même les détails les plus insignifiants. Le sujet, également, reste difficile: on y aborde la grossesse adolescente, avec notamment une mère (celle de la jeune Alice) qui, en conflit avec sa fille adoptive, et dépitée de n’avoir pas pu elle-même porter d’enfant, encouragera cette gestation, qu’elle vivra plus ou moins par procuration. Tout, a priori, semble indiquer que nous avons affaire à un film difficile, voire rude.
Pourtant, et malgré son apparente froideur, « Alice T. » se révèle bien plus chaleureux et généreux qu’il n’y paraît. Cela, en tout premier lieu, grâce à sa force principale, le coeur de son ensemble, j’ai nommé son héroïne, Alice, incarnée par la fascinante Andra Guti: sorte de Elle Fanning potelée aux cheveux rouges et aux tenues de couleurs pétantes, cette dernière constitue le point d’attraction du film. Obstinée, sans-gêne, égoïste, rebelle, immature, versatile, énervante en un mot, elle accapare pourtant toute l’attention des personnages comme du spectateur-il suffit de voir le premier plan du film, plan large qui la montre trônant sur son siège, orgueilleuse, au milieu d’une salle bondée, pour s’en persuader.
Et peut-être est-ce, au fond, ce que cherche son personnage, qui voit dans sa grossesse non-désirée une occasion de trouver sa place au sein d’une famille qui n’est originellement pas la sienne. Famille dans laquelle on la voit évoluer, entre révoltes, mensonges et démonstrations d’affection, et dont on comprend les liens complexes à mesure de l’avancée du film. En cela, les dialogues, interminables mais d’une grande profondeur, sont bien plus porteurs de sens que le reste: c’est par eux que se créé petit à petit une connivence entre le spectateur et cette fratrie éparse, décomposée, où les femmes (et les mères en particulier) occupent une place prépondérante. C’est par eux également qu’il observe un glissement des rapports mère-fille, à la fois hostiles et aimants, toxiques et fondateurs.
C’est pourtant sur un silence pesant que tombe le couperet de la fin, qui renvoie Alice à sa solitude du départ. Lors du plan final, on ne voit toujours qu’elle, mais ce plan est plus rapproché, plus intime, et notre héroïne a perdu de sa superbe et nous apparaît dans toute sa fragilité, débarrassée de son enfance et de quelques illusions. Moment cruel où le spectateur, même devenu adulte, doit se retenir de pleurer avec elle.

DanyB
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le 22 juil. 2019

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Dany Selwyn

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