Alien³ est souvent jugée comme la brebis galeuse de la tétralogie originale, l’opus de Jeunet étant assez marqué par une identité singulière pour qu’il soit dans une catégorie à part dans son côté clivant. Souvent conspué pour son manque d’apport par rapport au premier Alien, handicapé par le choix de la CGI qui a pris un sacré coup de vieux, et balayant dès son introduction Newt et toute amorce d’espoir initiée par la fin optimiste du film de James Cameron, et donc tous les enjeux de Aliens. David Fincher lui-même, dont c’est le premier film, regrette son ouvrage et le renie. Et pourtant, derrière le sempiternel affrontement entre Ripley et les xénomorphes, entre les cols bleus et les méga corporations, c’est une approche calquée sur les derniers jours du Christ que nous livre le cinéaste. Un choix parfois pataud par son manque de subtilité, mais qui recèle plus de complexité qu’on ne pourrait le croire au premier regard.


La lentille chrétienne peut-être appliquée à l’ensemble des arcs du récit et des personnages, en commençant par Ripley, évidemment. Le film commence par sa résurrection, sortie de sa caverne par les hommes de Fiorina 161 après qu’elle soit l’unique rescapée du crash de sa capsule de sauvetage. Un commencement par la fin de la Passion, mais qui prend son sens par la suite. Son combat contre l’alien ne cesse jamais. Une figure du mal, implacable et destructrice qui signe la fin de l’humanité. Comme le Diable, une menace constante, invisible et mortelle, mettant à l'épreuve la foi et la résilience des personnages


Cette lutte exigera d’elle un ultime sacrifice, les bras en croix, une fois ses ouailles retrouvées à travers les prisonniers. Des être en recherche de rédemption et de purification de leurs péchés, qui doutent initialement mais qui sont ramenés à la raison par cette messie improvisées, montrant des signes de solidarité et de sacrifice, tels les bons apôtres qu’ils sont. Tous se débattent dans le purgatoire qu’est cette planète, où les âmes se préparent au jugement final. Planète qui dans les plans initiaux de Fincher devait être faite entièrement de bois, comme la création d'un charpentier. Tiens donc.


Mais parallèlement à cette imagerie évidente, Ellen est également la figure mariale pour le camp des xénomorphes. De sa gestation dénuée de coït initiateur, à l’importance de l’enfant qu’elle porte (une reine qui apportera le salut de l’espèce), tous les signes sont là pour représenter Ripley comme la Vierge. Une double casquette qui apporte une ambiguïté morale complexe, la posant au choix en sauveuse de l’humanité et destructrice des créatures, ou en fin des temps pour l'homme et éternité pour la bête. Apocalypse et salvation en un seul corps.


Les choix que Ripley fera, initialement désespérée et donc peu impliquée, seront aiguillés par le personnage de Dillon qui joue un rôle de guide spirituel pour les prisonniers, similaire à Jean-Baptiste qui prêchait et préparait la voie pour Jésus. Un personnage clé qui tente de maintenir une communauté de foi parmi les prisonniers, rappelant le Saint qui baptisait les gens dans le Jourdain, symbolisant une purification et une nouvelle vie spirituelle. Il se sacrifie pour aider Ripley et les autres à contenir la menace de l'alien, rappelant le rôle de la figure biblique en annonçant le sacrifice de Ripley Christ pour l'humanité.


Clemens, le médecin de la prison incarné par Charles Dance (inénarrable Tywin Lannister que l’on retrouve toujours avec grand plaisir, est marqué par la culpabilité et la recherche de rédemption. Une figure qui rappelle celle de Pierre, qui a renié Jésus trois fois avant de se repentir. Clemens a un passé marqué par des erreurs graves (médicales et éthiques) et cherche la rédemption en servant volontairement comme médecin dans la prison. Il tente de faire amende honorable pour ses péchés passés en aidant les prisonniers et en cherchant à sauver des vies. Un homme curieux qui cherche à comprendre la vérité derrière les événements sur Fiorina, tout comme le Saint qui cherchait à comprendre les enseignements de Jésus. Il devient le principal soutien de Ripley Christ. Une voix de la conscience en ces lieux qui en recherche, offrant conseils et avertissements à qui veut l’entendre, et qui connaît une fin brutale et prématurée, tel le martyr qui a finalement accepté son destin pour la cause chrétienne.


Bien évidemment, l’Alien n’a jamais été l’unique menace dans la tétralogie, et il fallait bien que la Weyland-Yutani, menée par Bishop (Évêque en anglais, ambiguïté à nouveau) soit associée à une autorité oppressive exerçant un contrôle impitoyable sur des individus tout juste bons à être exploités à des fins militaro-scientifiques. De joyeux romains qui trouveront leur Judas en Aaron, le superviseur adjoint surnommé "85" en raison de son QI. Il trahit Ripley et les autres en contactant la société, motivé par la croyance naïve qu’elle les aidera, un acte qu’il pense juste et dont il réalise trop tard les conséquences. Il montre alors des signes de remords et tente de se racheter en se retournant contre Bishop et ses sbires, une tentative de rédemption tardive similaire aux remords de Judas qui réalise la portée de ses actions.


Alors tout ça, c’est bien beau, mais du coup on nous raconte une histoire vieille de deux millénaires, et qui peinera donc à surprendre. Mais si Fincher désavoue sa Passion Spatiale, je ne peux m’empêcher de lui trouver un certain charme, malgré toutes ses tares. Après tout, les thématiques bibliques, quel que soit notre positionnement face à la religion (paraboles et fariboles pour ma part, vous l’aurez compris j’espère), ont une portée humaine universelle, et transposées dans une ambiance de dark SF réussie, avec un casting aux petits oignons (j’en profite pour une petite mention du regretté Pete Postlethwaite, le Roland du Monde Perdu), je trouve à Alien³ une identité qui lui est propre, éloignée du huis clos survivaliste oppressant de Ridley Scott, des tambours battants de James Cameron, et du grand guignol loufoque de Jeunet. Une œuvre qui ne démérite pas au fur et à mesure des nouveaux visionnages, et qui intègre parfaitement sa filiation biblique à son récit.

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le 30 juil. 2024

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Frakkazak

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