Petit surdoué des effets visuels, du clip et de la pub, David Fincher est propulsé, pour son premier long métrage, à la tête d’une franchise dont les enjeux sont immenses. Succédant à Ridley Scott le visionnaire et James Cameron la machine de guerre, il lui faut trouver sa place. L’expérience, désastreuse dans sa cohabitation avec un studio qui refuse de lui laisser les coudées franches, le mènera à renier le résultat dans sa filmographie depuis bien plus autonome en termes de choix artistiques.
La cohabitation entre une identité marquée et les exigences des producteurs se fait effectivement sentir. Plus proche de l’univers esthétique du fondateur, Fincher livre un thriller horrifique en huis clos, résolument épuré dans son action par l’exploration d’une planète pénitentiaire ou le concept même d’arme est prohibé.
L’ambiance post apocalyptique, dans des décors décatis et industriels, tranche ainsi avec le film de guerre qu’avait proposé Cameron, de la même manière que l’héroïsme est entièrement à redéfinir : les détenus, déviants et mis à l’écart, sont des victimes qui disputent à la créature sa monstruosité, tandis que Ripley, entre nouveau deuil imposé et affirmation de son statut de femme désirante, va devoir composer avec une donne qui va clairement faire évoluer son personnage, à savoir la fusion organique et psychique avec l’adversaire.
“You’ve been in my life for son long. I can’t remember anything else”, confirme Ripley, héroïne tragique qui ne se réveille de longues ellipses temporelles que pour retrouver un monstre qui dévaste ceux qui pourraient éventuellement la reconnecter à l’humanité. La chasse à l’homme, dans un décor qui rappelle l’univers de Caro et Jeunet dans La Cité des Enfants Perdus, sera cruelle et sans réel espoir. Alors que l’héroïne apprend à faire la connaissance des proscrits, la progression du récit, qui fonctionne comme jamais sur le principe du récit alterné, conduit une fois encore à la désignation du véritable mal, à savoir la fameuse Compagnie et les intérêts qu’elle trouve dans la créature. La venue de l’extérieur, loin d’être une mission de sauvetage, devient donc la menace ultime à laquelle il va falloir mettre un terme.
Fable noire, Alien 3 ne démérite pas la plupart du temps. La violence inhérente au personnage (Sigourney Weaver, désormais crâne rasé, offre une palette élargie à son personnage), cette religion du désespoir contribue à une atmosphère étouffante et poisseuse, malheureusement gâchée par des longueurs (la version longue du coffret est une sacrée erreur), une expérimentation numérique atrocement douteuse pour les plans d’ensemble avec la bête, et des abus de poursuite en caméra subjective. Les partis-pris et le renouvellement par rapport à la direction prise pour l’opus de Cameron sont fertiles, mais l’ensemble reste déséquilibré et l’on sent trop les sutures voulant combiner plusieurs tendances. Deux éléments clés sont néanmoins à mettre au crédit de cette expérience : la mise en place d’un esthétique, qui verra Fincher se diriger vers le très singulier Se7en, et le sacrifice de Ripley, qui sonne le glas de son humanité pour faire d’elle une icone hybride on ne peut plus originale.