La sortie d'Alien: Romulus est l'occasion parfaite de revenir sur le précédent épisode de la saga et de voir comment notre perception à son sujet a évolué en sept ans. Lorsque Alien: Covenant est sorti en 2017, la réaction du public en sortant de la salle était souvent la déception. Et celle-ci était justifiée : incomplet, trop ambitieux et convaincu qu'il pourrait conclure son épopée dans un prochain volet. Le Xénomorphe, autrefois terrifiant, y apparaissait presque comme un élément anecdotique, semblant avoir perdu l'intérêt de son propre créateur, Ridley Scott.

Cependant, au-delà de cette première impression et de l'espoir naïf de retrouver la puissance du premier opus, les nouveaux visionnages d'Alien: Covenant permettent de découvrir un film qui cache bien plus qu'il ne laisse paraître. Ce voyage, plus introspectif et symbolique, peut s'avérer passionnant à condition d'être sensible aux thèmes et motifs gothiques convoqués par le cinéaste.


Un récit gothique moderne


Le cinéma gothique, comme la littérature du même nom, est marqué par des thèmes de mystère, d'horreur et de désolation. Dans ce cadre, Alien: Covenant se démarque des précédents épisode de la saga (même de Prometheus) par une atmosphère chargée de terreur, des décors sombres et des personnages tourmentés. Le film emprunte ainsi plusieurs codes classiques du gothique, les adaptant à un (faux) blockbuster des années 2010.

Les décors de Covenant, notamment les paysages désolés de la planète où se déroule l'action, rappellent les châteaux en ruines et les lieux oppressants des romans gothiques. Ce ne sont pas simplement des environnements où l'action se déroule, mais des entités en elles-mêmes, imprégnées d'une atmosphère menaçante qui participe à créer une tension permanente. De même, le vaisseau spatial des Ingénieurs et ses corridors étroits fonctionnent comme les labyrinthes souterrains des récits gothiques, où chaque recoin peut cacher une horreur innommable.


Personnages tourmentés et création monstrueuse


Les personnages de Covenant, notamment les androïdes David et Walter, incarnent une facette gothique en explorant des questions identitaires profondes et en jouant avec la figure classique du scientifique fou. David, obsédé par la création, devient une sorte de Frankenstein moderne -- lui-même qualifié de "Prométhée moderne" par Mary Shelley... la boucle est bouclée ! --, s’efforçant de surpasser son créateur, et l'humanité par extension, en donnant naissance à de nouvelles formes de vie. Sa quête rappelle le thème gothique de la démesure humaine face à la nature et au divin.

La relation entre David et Walter, deux androïdes identiques mais fondamentalement différents dans leur approche de l'humanité, renvoie au thème de la dualité, si cher à la littérature gothique. Leur lutte idéologique, plus que physique, nous plonge dans une réflexion sur la nature de l'âme, de la création et de la destruction, des thèmes intrinsèquement liés au gothique.


Horreur métaphysique et sublime


Contrairement aux films précédents de la saga, Alien: Covenant se détourne d'une simple horreur viscérale pour embrasser une horreur métaphysique, où la terreur ne naît pas uniquement des créatures, mais aussi des questions philosophiques qu'elles suscitent. Le film interroge la création, la destinée et la mort à travers le prisme du sublime gothique — une confrontation avec l'inconnu qui dépasse les simples capacités humaines.

Les xénomorphes et les néomorphes, dans ce contexte, deviennent plus que des monstres. Ils représentent l’horreur ultime de la déchéance, de l'évolution perverse d'une vie créée à partir d'un désir de transcendance. Leur origine, leur transformation et leur existence questionnent les limites de l'humanité face à l'infini, rappelant la fascination gothique pour les forces incompréhensibles qui dominent et terrorisent l'être humain.


Passée cette approche thématique, Alien: Covenant dispose de solides arguments sur le plan technique. La photographie, les décors et les effets spéciaux sont exceptionnels, contribuant à l'immersion totale dans cet univers sombre et oppressant. Si le xénomorphe final peine à retrouver la terreur de ses premières apparitions, les néomorphes, eux, sont des ajouts réussis au bestiaire de la franchise. Ces créatures blanches, presque éthérées, incarnent un pur cauchemar et s’inscrivent parfaitement dans l’esthétique gothique. L'un d'entre eux est explicitement présenté comme un vampire.

Comparé au nouvel opus de Fede Alvarez, qui surpasse Covenant en matière de suspense et d’efficacité horrifique, le film de Ridley Scott semble davantage s’intéresser aux questions métaphysiques qu’à l’horreur viscérale. Cependant, une scène en particulier reste plus marquante que celles de Romulus : la scène du backbuster, une réinvention du célèbre chestbuster, parvient à capter toute l'intensité horrifique qui faisait la force de la scène analogue du film matriciel de 1979. En comparaison, la scène de naissance du film d’Alvarez semble presque générique, bien qu'efficace.


Alien: Covenant est un film qui abandonne volontairement l'efficacité de l'horreur viscérale pour s’aventurer sur le terrain de la science-fiction spéculative. C’est cette particularité qui caractérise le diptyque Prometheus/Covenant, où l’horreur ne se suffit plus à elle-même mais sert à questionner des concepts philosophiques plus vastes. Cependant, ce choix ne fonctionne pas lorsque l'on aborde le film au premier degré, et il faut faire l’effort de le décortiquer pour en tirer la substantifique moelle. Mais cela intéresse-t-il vraiment le grand public en 2017 ?

En tout cas, Alien: Covenant reste un étrange cabinet des curiosités, affirmant son identité propre au sein de la saga. Un film à part, où Ridley Scott semble plus préoccupé par la quête de sens que par la simple terreur, et qui mérite d’être revisité à travers le prisme du gothique.

MajorTom
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le 18 août 2024

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