Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, le cinéma américain est arrivé à un point où la technologie est en capacité de donner vie aux récits ambitieux des auteurs de science-fiction et de fantastique. Des récits authentiques, témoignant d'une certaine noirceur héritée de la décennie écoulée et pas encore édulcorés par la sauce pop corn des 80s. Sorti en 1979, Alien tombe à point nommé. S'il n'avait pas atterri dans cette période de transition, sans doute n'aurait-il pas été la réussite que l'on connaît.


Car dans la deuxième moitié des années 70, l'équipe du Dune d'Alexandro Jodorowky ressort épuisée de la préparation de ce film qui ne verra jamais le jour. Embauché initialement pour la création des effets spéciaux, Dan O'Bannon retourne aux Etats-Unis non sans garder les numéros de Mœbius, Foss et Giger dans son carnet d'adresses. De retour au pays, il essaye de panser les plaies laissées ouvertes par ce film mort-né. Avec son comparse Ronald Shusset, ils vont réunir leurs deux scénarii de science-fiction pour n'en faire qu'un : Alien. Une histoire d'extraterrestre avec quelques fulgurances (l'insémination buccale !) et qui fera un bon Roger Corman movie.
Sauf qu'en 1977, un certain Star Wars donne au public le goût des films de science-fiction ambitieux. Parmi les grandes réussites du films, les effets spéciaux révolutionnaires d'ILM réussissent à donner vie à des images inédites qui propulsent soudainement le cinéma de divertissement dans une nouvelle ère. Le succès du film de George Lucas pousse la 20th Century Fox à donner sa chance au scénario d'O'Bannon et Shusset qui, à force de réécriture par les producteur Walter Hill et David Giler, deviendra bien plus solide qu'auparavant.
Pendant ce temps, l'anglais Ridley Scott triomphe au Festival de Cannes 1977 et remporte le Prix de la première œuvre pour Les Duellistes. Derrière ce drame épique en costumes sur fond de guerres napoléonienne, Hill et Giler décèlent la patte d'un esthète hors norme capable d'offrir à Alien une puissance visuelle susceptible de surpasser celle de Star Wars.


Bon, une fois qu'on mélange tous ces ingédients, ça donne quoi ? Le scénario final est une merveille. Simple et efficace au premier abord, on y retrouve en sous-texte une grande variété de thèmes que l'on pourrait qualifier de "freudiens" (si l'ordinateur central du vaisseau s'appelle M-U-T-H-U-R [Mother] et que le xénomorphe a une forme phallique, ce n'est certainement pas un hasard !). Lorgnant davantage du côté du cinéma d'horreur que du space opera, le script ne dévoile rien sur le passé des personnages, afin que tous soient logés à la même enseigne et qu'on ne devine pas qui va survivre au massacre. Les sept passagers sont tous différents, chacun a un tempérament propre, bien affirmé, voire même son moment de bravoure. L'interprétation tendue des acteurs, Sigourney Weaver en tête, sublime cet excellent travail de caractérisation. Un premier bon point.


L'une des horreurs les plus viscérales et troublantes dans Alien est l'évocation du viol à travers les interactions des personnages avec le xénomorphe. Dès l'attaque du facehugger, qui s'accroche de force au visage de Kane pour lui implanter un embryon, le film met en scène une forme de violence sexuelle profondément dérangeante. Cet acte d'insémination forcée est une métaphore du viol, où l'agresseur viole littéralement le corps de sa victime en y déposant une vie étrangère, pervertissant ainsi le processus naturel de reproduction. La scène du chestburster, où l'embryon alien éclot de la poitrine de Kane, est le point culminant de cette agression, symbolisant la naissance d'une terreur qui s'est implantée dans le corps humain contre son gré. Ces images, combinées au design phallique de l'alien et à l'absence de tout consentement dans ces interactions, font d'Alien un film où l'horreur corporelle est intimement liée à l'angoisse du viol et à la perte de contrôle sur son propre corps. Cette approche bouleverse les conventions du genre en confrontant les spectateurs à une peur primale : celle de voir leur corps envahi, utilisé et finalement détruit par une force étrangère, implacable et indifférente.


Mais si Alien est entré au panthéon de la SF, c'est aussi pour sa direction artistique monumentale. Pour créer ce monde envoutant et effrayant, Dan O'Bannon fait appel à trois artistes graphiques, eux aussi naufragés du Dune de Jodorowsky : Jean "Mœbius" Giraud pour les costumes, Chris Foss pour le design du Nostromo et de sa navette (sérieusement épaulé par Ron Cobb), et bien sûr — last but not least — le suisse H. R. Giger pour la conception de la créature éponyme et de son environnement. De leurs esquisses naîtront des décors, costumes et autres accessoires d'une puissance visuelle impressionnante. Que l'on soit fan de ces artistes, ou tout simplement de science-fiction, on ne peut décemment pas rester insensible face à un tel résultat.

Et que dire de Ridley Scott, véritable chef d'orchestre sur ce projet, si ce n'est que sa mise en scène est elle aussi parfaite. Mouvement de caméra, composition du cadre, éclairage... RIEN n'est laissé au hasard ! C'est également lui qui fera revenir Giger, limogé un temps par la production qui trouvait son travail beaucoup trop perturbant. Bien que n'ayant réalisé qu'un seul long métrage auparavant (mais s'étant déjà fait une renommée dans le monde de la publicité), il fait preuve d'un sens de l'esthétique inné. Le montage, qui alterne les séquences calmes et les moments d'hystérie pure, est un véritable grand 8 pour nos sens. Et telle une cerise sur ce grand gâteau, notons également l'excellente musique de Jerry Goldsmith (La Planète des singes, L'Âge de cristal), au sommet de son art.

Alien, c'est Massacre à la tronçonneuse filmé comme 2001 : L’Odyssée de l'espace. Ridley Scott poursuivra son exploration de la science-fiction 3 ans plus tard avec un Blade Runner couronné du même succès artistique.

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le 8 nov. 2011

Modifiée

le 20 août 2024

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MajorTom

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