1991, le troisième opus de la franchise Alien sort sur les écrans. Très loin du space opéra guerrier signé précédemment par Cameron, le film de David Fincher mécontenta une bonne partie du public de l'époque par son approche nihiliste et hautement pessimiste. Il n'en restait pas moins ce qu'on peut toujours considérer comme une conclusion logique et magistrale à l'antagonisme opposant Ripley et les xénomorphes. Laminé par la critique de l'époque, considéré comme un semi-échec financier puisque ayant à peine renfloué les caisses de la Fox sur son exploitation internationale, Alien 3 resta sept ans durant classé sans suite avant que le grand studio ne décide contre toute-attente de mettre en chantier un quatrième opus. A charge au méconnu Joss Whedon, déjà scénariste de Speed, Twister, Toy Story et de Buffy the vampire slayer (le film, la série elle ne sera curieusement mise en chantier qu'un an plus tard, sous l'égide du même grand studio), d'écrire un scénario susceptible de crédibiliser cette continuité du film de Fincher. Un exercice périlleux qui, sous l'impulsion de la Fox, donne tout d'abord l'idée à Whedon de convoquer le personnage de Newt, bien vivante (?) et désormais jeune adulte, pour en faire la nouvelle héroïne de la franchise. Un premier traitement (que Whedon a toujours préféré au scénario final) remis en question par le retour de Sigourney Weaver, désireuse de retrouver son personnage (dont elle avait pourtant imposé la mort au terme du précédent opus) afin, peut-être, de relancer sa carrière alors déclinante. Whedon ré-écrit donc un nouveau traitement, recyclant au passage bon nombre d'idées du script refusé et rédigé par David Twohy pour Alien 3, huit ans auparavant, et crédibilisant le retour de Ripley par l'idée-prétexte du clonage, postulat alors très en vogue dans les scénarios hollywoodiens depuis Jurassic Park et que Résurrection n'exploitera que partiellement.
Tout d'abord confié à Danny Boyle, avant que celui-ci ne se désiste pour lui préférer un projet plus modeste Une vie moins ordinaire, Alien Resurrection fut finalement confié à notre compatriote Jean-Pierre Jeunet (après que Peter Jackson, Bryan Singer et David Cronenberg aient été approchés), dont La Cité des enfants perdus avait tapé dans l'oeil de bon nombre de producteurs américains. A l'inverse de Boyle, le cinéaste français ne se fit pas trop prier et vit évidemment en cette opportunité l'occasion de plier l'univers d'Alien à sa sensibilité et à son style si particulier. Pas ingrat pour un sou, Jeunet réussit même à imposer non seulement ses deux acteurs fétiches au casting (Dominique Pinon et Ron Perlman), mais aussi une bonne partie de ses collaborateurs habituels, dont Pitof (sa boîte Duboi héritant ici d'une grande partie des SFX numériques du film) et Darius Khondji, chef opérateur renommé, déjà en charge de la photo du précédent film du réalisateur. Plutôt chanceux au regard de l'expérience vécue par Fincher sur Alien 3, Jeunet bénéficie même d'une latitude étonnante de la part de la Fox et d'une Brandywine un rien démissionnaire depuis les divers problèmes rencontrés lors de la production du précédent film, le triumvirat Hill-Giler-Caroll n'étant alors que très réticent à la perspective d'un quatrième opus. Le tournage plié, Alien Resurrection bénéficie d'une promotion alors importante sur tous les écrans avant de sortir fin 1997 et récolter un score moyen au box-office, à peine plus important que celui rencontré par Alien 3, sept ans plus tôt.
Un succès mitigé à l'exemple des critiques d'alors, plus ou moins convaincues par le retour de Ellen Ripley et de son éternel adversaire. Seule la critique française resta dans son ensemble élogieuse, certains rédacteurs (dont un certain Laurent Weil) osant même avancer que Résurrection était le meilleur opus de la franchise avec celui de Scott (j'en entends quelques-uns rirent au fond...). Un avis loin d'être partagé par l'ensemble des critiques américaines qui voient en cette Résurrection l'opus de trop. Joss Whedon lui-même alla jusqu'à renier le film, le futur réalisateur d'Avengers et papa de Buffy déclarant alors qu'il ne se retrouvait aucunement dans le travail de Jeunet, non sans préciser que le problème n'était pas dans son histoire, le film respectant dans l'ensemble le script qu'il avait écrit, mais que c'était surtout la réalisation de Jeunet qui ne correspondait en rien avec sa vision.
Et c'est bien là que réside tout le problème de ce quatrième opus, à savoir que tout talentueux puisse-être Jeunet, ses choix de mise en scène et ses parti-pris stylistiques peuvent paraître incompatibles avec l'univers établi par Scott et poursuivi remarquablement par Cameron et Fincher (n'en déplaise aux détracteurs de Alien 3). Certes, chaque opus de la franchise bénéficie de la patte esthétique et thématique de leur réalisateur, chacun d'entre eux ayant apporté dans cet univers, sa propre vision de la mythologie initiée par Dan O'Bannon, ses propres obsessions ainsi que sa sensibilité esthétique. C'est dans cet alignement de signatures, conditionné par l'époque de production de chacun des opus, que la saga trouve aussi beaucoup de son intérêt. Il peut donc paraître injustifié de critiquer l'approche de Jeunet, sous prétexte qu'on peut la trouver inadaptée à l'univers de la franchise. Pourtant, le fan que je suis de l'univers d'Alien n'arrivera jamais à ranger cette Résurrection sur la même étagère que les trois premiers opus et leur préquelle (car oui, j'aime toujours autant Prometheus). Simplement parce que Résurrection constitue à mes yeux un décalage bien trop évident vis-à-vis des opus précédents.
D'un point de vue narratif, il y a tout d'abord ce bouleversement dans la chronologie, ce bond conséquent dans le futur, pertinent à l'aune de la mort de Ripley sur Fiorina 161, mais néanmoins grandement dommageable quand on imagine encore toutes les perspectives narratives restantes si l'on s'était passé du personnage pour se consacrer un peu plus à son héritage. En situant son intrigue 200 ans après Alien 3, Whedon avait certainement dans l'idée de s'affranchir d'une partie de la mythologie Alien pour (pourquoi pas ?) ouvrir un nouvel arc narratif. Son script relègue ainsi au passé la fameuse Compagnie Weyland-Yutani et ses marines de l'espace pour la remplacer par une sorte de corporation techno-militaire aux motivations similaires et aux représentants tout aussi cupides, mais à la vilénie bien plus grotesque (il faut voir J.E. Freeman cabotiner dans son rôle de salopard et Dan Hedaya écarquiller les yeux devant l'hécatombe...). Le problème c'est qu'au final le script de Whedon ne justifie que trop peu tous ces bouleversements. A savoir que deux siècles viennent de passer, un peu plus loin dans le futur après les événements d'Alien 3 et les quelques éléments constituant le contexte "super"futuriste de l'intrigue nous donnent finalement l'impression qu'il ne s'agit que de deux ou trois décennies. Seul le prétexte du clonage et l'attitude de la nouvelle Ripley sont censés justifier une telle avancée chronologique. C'est peu.
Ponctué de quelques idées intéressantes qu'il n'exploite jamais pleinement (l'affranchissement des androïdes, l'étude des xénomorphes captifs par les scientifiques), le script de Whedon ne fait finalement que recycler la même mécanique narrative du film de couloirs et de l'enfermement, piochant beaucoup dans l'approche belliqueuse de Cameron tout en proposant une galerie de personnages aux rôles plus ou moins similaires que leurs prédécesseurs. S'ils sont certes moins interchangeables que les bagnards d'Alien 3, impossible de ne pas voir dans les protagonistes de cette Résurrection une réminiscence du groupe de marines de Cameron, en plus bad-ass et moins recommandables. Ceux-ci se retrouvent donc à déambuler dans une successions de corridors enténébrés avec pour principal objectif de fuir le vaisseau infesté. Ça on l'avait déjà vu cinquante fois au cinéma en 1997. Un objectif accentué par un enjeu de taille, sensiblement le même que celui des précédents opus, à savoir que l'Auriga fait en fait route vers la Terre. Il s'agit donc une fois encore de préserver la planète mère d'une invasion de xénomorphes, grand enjeu de la saga cinématographique.
La réinvention du personnage de Ripley reste alors la grande idée du script, prétexte au retour de Sigourney Weaver. L'héroïne d'alors n'est plus mais cède la place à un monstre génétique au sang corrosif et dont la nature hybride et l'instinct de conservation contredisent toute la détermination de l'ancienne Ripley. Si cette dernière ne reculait devant rien pour protéger l'humanité de la menace xénomorphe, son huitième clone (clin d'oeil évident au 8ème passager) parait bien plus ambivalente, puisque partagé entre deux natures antagonistes inscrites dans son ADN. Ripley 8 acquiert ainsi les particularités génétiques de son ennemi séculaire jusqu'à devenir foncièrement redoutable et imprévisible. Ni humaine, ni xénomorphe, mais un peu des deux espèces, elle est ici le principal Alien, une intruse ne trouvant sa place dans aucun des deux camps, tout comme c'était déjà le cas, de manière toutefois bien plus subtile, dans le film de Fincher. Un aspect accentué par la scène où le personnage découvre dans un laboratoire sept clones ratés ayant précédé sa création et dont la monstruosité physique, en plus de révéler la folie de leurs créateurs, lorgne vers une horreur qu'affectionne particulièrement le réalisateur de Delicatessen. Evidemment, aucune surprise quant au camp que cette nouvelle Ripley ralliera, et celle-ci dézinguera volontiers du xénomorphe tout en faisant montre d'une ironie et d'une répartie lapidaire vis-à-vis de ses compagnons de route.
L'idée reste cependant intéressante et permet en outre à Alien Resurrection de renouer avec un des thèmes principaux de la saga : celui de la maternité. Ripley se présente ainsi volontiers comme la mère du monstre, ce à quoi répondra le dernier tiers du film en proposant une créature inédite, le fameux New Born. Un hybride monstrueux (et un rien risible c'est selon), génétiquement proche des xénomorphes mais dont le regard, à l'inverse du faciès aveugle de ses frangins, trahit des sentiments purement humains. D'où l'affection exclusive qu'il semble porter à Ripley en laquelle il voit sa véritable génitrice, la préférant à la Reine dont il règle le compte en un seul méchant coup de griffe, Jeunet (après nous avoir un temps fait miroiter l'importance de l'Alien Queen via sa révélation en début de métrage) expédiant de la sorte toute la majesté du monstre de Cameron à la poubelle. L'intrigue s'achemine alors vers un climax lorgnant sur ceux des deux premiers opus et que le script aura en fait entièrement pompé sur celui imaginé dix ans plus tôt par David Twohy pour son traitement refusé d'Alien 3 (Pitch Black viendra ensuite...). Obnubilé par son monstre albino, Jeunet en oublie purement et simplement le reste des xénomorphes infestant l'Auriga, profitant juste d'un plan pour les rappeler à notre souvenir avant de les anéantir lors du crash du vaisseau (remember : plan serré sur un xénomorphe, voix de l'ordinateur du vaisseau égrenant les secondes du compte-à-rebours avant de conclure par un ironique "Thank you" juste avant le crash).
Venons-en à un autre problème : l'humour. Jusqu'alors écarté de la saga, l'humour devient ici une composante suffisamment importante pour faire de Alien Resurrection une sorte de comédie noire sur fond de SF horrifique. Le public n'avait pas aimé Alien 3, jugé trop sombre, lent et dépressif ? La Fox a donc certainement suggéré à Jeunet de faire tout l'inverse et celui-ci fait exactement ce pour quoi il a été embauché, du Jeunet. Son film se voit ainsi régulièrement plombé par un burlesque à tendance macabre et bas du front qui désamorce systématiquement la portée dramatique de l'intrigue. Comment être touché par la détresse de Ripley face à la découverte de ses clones quand celle-ci semble avoir très vite tout oublié et menace deux scènes plus tard d'arracher la langue à Johnner pour s'en faire un trophée ? Comment trembler lors de l'évasion des xénomorphes quand Jeunet décide plus de se concentrer sur la trajectoire numérique d'une grenade et sur le sort amusant de celui qui la lance que sur l'ampleur du chaos ? Ce qui participait jusque-là à la réussite de la saga c'était ce refus de céder au moindre trait d'humour évident pour privilégier une montée progressive dans la tension et l'horreur. Certes, on pourra objecter que le personnage de Hudson dans Aliens ou encore ceux de Brett et Parker dans le film de Scott ne manquaient pas de balancer quelques répliques amusantes mais l'humour restait alors contextuel et ne désamorçait jamais la portée des enjeux.
A cela vient s'ajouter les choix de mise en scène de Jeunet. Fidèle à ses précédents travaux, le cinéaste abuse de cadrages serrés et de zooms appuyés pour refermer la tension sur ses personnages. Le procédé peut séduire le spectateur lambda comme il peut lasser les premiers fans de la franchise, d'autant que Resurrection a tôt fait de se changer en vulgaire actioner SF et que Jeunet n'a rien d'un réalisateur de films d'action. En ce sens, le film comporte trois grandes scènes (hormis le climax : l'évasion des bestioles, la séquence sous-marine, celle de l'échelle) que Jeunet co-réalisa avec Pitof, donnant suffisamment de travail aux infographistes de chez Duboi pour révéler à l'écran les prouesses des tous nouveaux aliens numériques, capables de nager, de grimper et de cracher de l'acide. De quoi oublier les incrustations fauchées du film de Fincher mais aussi toute la majesté du monstre dans ses apparitions fragmentées, Jeunet s'appuyant d'ailleurs sur la photo au filtre jaune (par ailleurs trop lumineuse) de Khondji pour révéler pleinement ses créatures numériques dans des séquences autour desquelles fut d'ailleurs élaborée une bonne partie de la promotion du film (ça et le retour de Weaver). Le réalisateur passe ainsi à côté de ce qui faisait la force de la saga, la suggestion de la présence du ou des xénomorphes plutôt que la pleine révélation de son aspect à l'image. La différence avec les trois premiers opus étant qu'à l'inverse de ses prédécesseurs, Jeunet avait enfin la technologie pour montrer ses aliens numériques. Il ne s'en priva donc pas et ce fut bien là une autre erreur. La créature bio-mécanique de Giger était alors ici bien loin de ce qu'elle fut à l'origine, elle ne cherchait d'ailleurs plus à se fondre dans le décor pour surprendre ses victimes.
Quoiqu'il en soit, Jeunet s'est toujours dit satisfait de son film. Il profita néanmoins en 2004 de la réédition dvd de la saga pour livrer son director's cut. Ce nouveau montage intègre quelques plans et scènes supplémentaires, qui à l'inverse des cuts alternatifs des trois premiers opus, n'apportent finalement que peu de choses au montage d'origine. La scène d'intro par exemple, beaucoup trop longue et prétextant l'échelle des mesures, semble avoir été simplement imaginée pour donner un peu plus de taf aux infographistes de chez Duboi. Plus intéressantes sont les deux allusions à Newt dont Ripley n'arrive pas totalement à se souvenir. La fin alternative quant à elle nous révèle les rescapés du Betty débarquer sur Terre, plus précisément dans un Paris dévasté. Une fin encore plus ouverte que celle du montage cinéma mais qui reste néanmoins tout aussi cohérente avec la trajectoire de Ripley. Celle-ci est morte et ressuscitée, anéantit la menace alien, trouve une nouvelle fille de substitution et revient enfin sur Terre. Fincher lui avait tout enlevé, Jeunet lui a tout rendu. Suffisant pour la Fox qui considérera le film comme un semi-échec et s'en tiendra à cette fin avant de revenir timidement à la franchise avec deux cross-overs dispensables et une préquelle ambitieuse. Il faudra attendre près de deux décennies pour entendre parler d'un hypothétique retour de Ripley, la vraie et non la clone, dans un potentiel Aliens 2 qui ignorera purement et simplement les deux précédents opus. Dommage, car sans parler de résurrection, il aurait été autrement plus fort de conclure la saga dans l'enfer de Fiorina.