Alien: Romulus
6.4
Alien: Romulus

Film de Fede Alvarez (2024)

Relancer la saga Alien au cinéma aura, dès son second opus en 1986, toujours été un processus long et complexe. Chaque nouveau volet aura eu la lourde tâche de supporter l'héritage du précédent, jusqu'à pousser l'univers dépeint toujours plus loin dans certaines propositions des plus radicales. La caractérisation de la quadrilogie de base s'est imposée par le regard de cinéastes imposants, ayant chacun redéfini les contours du mythe de l'alien et des grandes thématiques de la saga.

Alien est devenu au fil des années une franchise s'étant étendue à travers tout le paysage multimédia (jeux vidéo, comics,...), garantissant sa persistance dans l'horizon culturel, même si paradoxalement le passage par la case cinéma reste un événement rare. Ridley Scott aura tenté de mettre en place une trilogie avec Prometheus et Alien : Covenant, mais ces épisodes n'auront pas réussi à pleinement convaincre leur public. En réalité, la saga semble souvent se résumer dans l'imaginaire collectif uniquement aux 2 premiers opus, négligeant les apports de cinéastes comme Fincher ou Jeunet à cet univers. Il s'agit probablement aujourd'hui de l'une des sagas cinématographiques faisant le moins consensus d'un spectateur à l'autre. Alien : Romulus s'impose comme le premier volet de l'air Disney, se permettant dans le même temps d'être un spin-off indépendant se situant chronologiquement 20 ans après le film de 1979. Fede Alvarez semble être un choix intéressant pour s'attaquer au retour d'une franchise aussi culte, s'étant déjà illustré avec succès dans le domaine de l'horreur avec Evil Dead (2013) et Don't Breathe.

Si chaque précédent volet, quoi que l'on en pense, avait pour vocation à faire avancer et évoluer toutes les thématiques et situations des films précédents, quitte à parfois offrir des résultats particulièrement déstabilisants et radicaux. Pour la première fois de l'histoire de la franchise, et ce dès les bandes-annonces, la démarche ne parais pas tant de réinventer le mythe, mais plutôt de placer le spectateur dans un terrain connu. Nous sommes presque face à cette notion de « requel » qui a fait son apparition courant des années 2010. Du propre aveux de Fede Alvarez, sa volonté visait à revenir aux bases strictes. Alien : Romulus propose de suivre un petit groupe de jeunes colons partant explorer une station spatiale dans l'idée d'y dénicher des cocons de stase. Évidemment, arrivés à bord, ils seront les proies de l'organisme parfait, le xénomorphe.

À l'instar de ses précédents métrages, Alvarez va s'intéresser à un groupe d'adolescents se retrouvant face à une menace les dépassant totalement. Il s'agit cependant de la première fois que la saga offre à suivre des êtres aussi jeunes agissant en communauté, le film touchant presque par moment au genre du teen movie. Si cela peut sembler déstabilisant au sein de la franchise, cela servira au final au cinéaste d'en explorer les grandes thématiques. Si l'on pouvait craindre qu'Alvarez n'ait que pour vocation d'offrir un blockbuster gore, il devient en revanche rapidement évident qu'il est parfaitement conscient de toutes les significations et messages imposés par ses prédécesseurs. Rendant hommage au travail de H.G.Giger, le long-métrage va utiliser ces jeunes colons pour traiter de la dimension sexuelle de la saga. Par certains aspects, Alien : Romulus peut être vu comme un voyage de découverte du corps face à des monstres cherchant à y pénétrer...ou à en sortir. Ces personnages ont également pour vocation de moderniser la saga, d'attirer un nouveau public à découvrir l'univers d'Alien. L'étoile montante Cailee Spaeney campe une digne et évidente héritière d'Ellen Ripley, le métrage semble d'ailleurs vouloir régulièrement nous le rappeler dans divers plans hommages. Il est cependant regrettable de constater le faible développement de la plupart des personnages et que ceux-ci restent dans le sillage des précédents films du cinéaste, une logique parfois proche du slasher. Ils occupent cela dit pour la plupart une place fonction qui se veut intéressante dans la représentation des ouvriers de la Weyland-Yutani. Ce qu'ils représentent est plus important que ce qu'ils sont. Cela permet la mise en place d'un discours social, décrivant un régime capitaliste faisant écho à notre propre réalité, comme cela est le cas depuis le tout premier film. C'est d'ailleurs probablement le film Alien le plus explicite sur cette question.

Concernant les autres héritages de la saga, Alvarez fait la part belle au fan service. Parfois grossier, parfois jouissif, il se permet de toucher à tous les épisodes de la franchise (à l'exception d'Alien vs. Predator). Il aura même l'audace de lier son métrage à Prometheus, l'acceptant dans sa diégèse de façon cohérente. Le fait que Ridley Scott soit à la production n'y est sans doute pas pour rien, mais inclure Alien : Romulus dans la globalité de la saga est tout à fait appréciable. L'amour du cinéaste pour toutes les variations de cette mythologie est palpable et transpire à l'image. Il comprend parfaitement et met en avant tous les thèmes propres à la saga dans un univers de science-fiction sombre, crasseux et vieillissant.

Le récit se veut résolument classique, du moins si l'on parle d'un film Alien. Il s'agit probablement du volet le plus simple en terme scénaristique malgré la perpétuation du schéma en 4 actes. Alvarez va cocher toutes les cases des séquences obligatoires à nouveau dans cet objectif de revenir aux sources. Cela vient handicaper le métrage en ce qui concerne les effets de surprises, Alien : Romulus se contente sur cet aspect d'être une forme de maxi best of de tout ce qui a pu être vu précédemment dans tout l'univers multimédia autour d'Alien (intéressant de noter que le jeu vidéo Alien Isolation fut une grande influence). Cependant, le cinéaste va se permettre de développer les capacités des créatures qu'il filme, leur offrir de nouvelles capacités/mouvements ainsi que des designs modifiés, offrant par cela une forme d'évolution. Alvarez aura mis un point d'honneur à mettre le plus possible en avant des effets spéciaux pratiques du plus bel effet et se veut profondément respectueux des travaux de ses prédécesseurs.

En ce qui concerne les extra-terrestres du métrage, les facehugger seront bien plus présents que d'habitude et occupent parmi les meilleurs séquences du film. Il est rapidement évident que le cinéaste voulait grandement mettre en avant ces créatures. Le xénomorphe quant à lui se veut assez réussi visuellement bien que jamais Alvarez ne réussisse à le filmer aussi sublimement que Scott. Le film ne se veut que très peu tourné vers la suggestion et en montre peut-être un peu trop, étire trop certains plans, notamment sur son monstre, le désacralisant par instants. Il est bon de rappeler que dans Aliens, Cameron réussissait parfaitement à faire croire à une multitude de monstres grâce à son travail de suggestion et d'un montage irréprochable. Alien : Romulus a pour problème de refuser de faire de son monstre star, l'attrait et la figure principale de son propre film. Il manque une étincelle supplémentaire pour le faire totalement resplendir.

Alvarez se montre cependant étrangement qualifié pour filmer les séquences d'action, permettant ainsi au métrage de trouver ses moments de bravoures. La réalisation se veut assez impeccable lorsqu'il s'agit de dynamiser des scènes et plans où les personnages se retrouvent en situation désespérée. Il utilise toutes les techniques de cinéma moderne à sa disposition pour proposer des séquences sous des angles inédits. Le travail de mise en scène d'Alvarez est souvent assez irréprochable. Le cinéaste offre par ailleurs parmi les plus belles séquences spatiales de toute la saga, s'attachant d'une photographie absolument sublime.

Au final, Alien : Romulus est un film qui réussi presque tout ce qu'il entreprend, mais peine grandement à surprendre. Il se contente par moment d'un classicisme, certes assumé, mais qui peinera à rendre le film marquant sur le long-terme. On est cependant bien loin des syndromes de tripes nostalgiques trompe l'oeil comme furent Jurassic World et Star Wars VII. Si l'on se base sur les qualités formelles de l'oeuvre, il est cependant bon de se demander si au final ce n'était peut-être pas le film dont la saga avait besoin pour la relancer. Un objet synthétisant tout son univers via des moyens appartenant à un cinéma moderne pour remettre la saga sur les railles. Souvenons-nous qu'en 2017, suite à l'annulation du Alien : Awakening de Ridley Scott, il n'était presque plus question d'entendre parler de xénomorphes sur grand écran. Fede Alvarez réussi ici à proposer un digne héritier qui permettra sans doute à un nouveau public d'y plonger. Nous aurions pu craindre que l'entreprise aux grandes oreilles salisse l'héritage de l'une des sagas les plus importantes du cinéma, Alien : Romulus est venu prouver que celle-ci a encore de beaux jours devant elle.

Vladimir_Delmotte
7

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Créée

le 15 août 2024

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